Christèle Vérot : « Des regards qui se cherchent pour la première fois »

Antoine Peillon, le 5 août 2011

Selon Christèle Vérot, sage-femme et formatrice, le merveilleux réside dans la naissance d’une vie, dans l’arrivée d’un enfant qui impose par sa venue au monde de faire grandir ses parents.

Christèle Vérot, sage-femme et formatrice à l’École des sages-femmes de la maternité Baudelocque – Université Paris V – Faculté de Médecine Paris Descartes – Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 75014 Paris, le 29 juin 2011 / © Ishta

Antoine Peillon : Vous êtes sage-femme depuis une quinzaine d’années et, depuis un an, formatrice à l’école des sages-femmes, à Paris. Ce double parcours de praticienne et d’enseignante est-il le fruit d’une vocation ?

Christèle Vérot : Pas du tout ! Je suis venue à ce métier par le fait, pas très positif, d’un échec universitaire au terme d’une première année d’études de médecine. Certes, à l’époque, je souhaitais m’occuper des enfants, sans doute en tant que pédiatre. Mais les examens en ont décidé autrement. Je dois à ma mère de m’avoir dit, alors : « Tu sais, il y a un très beau métier : sage-femme. Tu devrais essayer… » J’ai passé le concours et j’ai intégré l’école des sage-femmes en septembre 1990.

On dirait une entrée dans le métier un peu par défaut…

C. V. : En surface, sans doute. En réalité, j’ai vécu presque immédiatement ce moment comme quelque chose d’extraordinaire. Dès la rentrée universitaire, j’ai fait mes premiers pas en salle de naissance, où j’ai aussitôt ressenti tout ce que l’on peut apporter aux femmes qui accouchent, tant du point de vue médical que sur le plan humain. Je n’avais que 19 ans. Je n’étais pas encore moi-même maman de deux enfants. Les premiers accouchements auxquels j’ai assisté furent un véritable choc. Un choc positif.

Vous vous souvenez du tout premier d’entre eux ?

C. V. : Ah oui, parfaitement bien, d’autant qu’il s’agissait d’un cas difficile, dont j’ai tiré aussitôt une grande leçon de modestie, mais aussi d’espérance. Une très forte leçon de vie. La future maman était une femme en grande difficulté sociale et médicale, une habitante de l’îlot Chalon, situé près de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Un lieu sinistre, où la drogue circulait en abondance. Cette jeune femme était très fermée, introvertie. Elle refusait qu’on lui tienne la main. Elle a accouché dans une grande solitude, malgré notre veille attentive sur elle.

Dans une telle situation, vous vous demandez comment il est possible d’aider vraiment quelqu’un, et même si votre aide est forcément nécessaire. Le contraste entre ma vie de jeune étudiante issue d’un milieu privilégié et celle de cette femme en perdition fut riche d’enseignements. D’autant que cette personne, aussitôt l’accouchement accompli, s’est avérée être une mère très investie dans les soins donnés à son bébé. Pendant les cinq jours où elle est restée à la maternité, elle a parfaitement encadré l’arrivée de son enfant au monde. C’était la démonstration de la force de la vie, de sa continuité, malgré la négativité de la situation initiale de cette nouvelle maman. Ce fut, en fait, un émerveillement d’assister à cette sorte de renaissance qui s’effectuait hors de portée de notre intervention.

Ce baptême du feu ne vous a pas découragée ?

C. V. : Au contraire ! Toute cette première année en maternité a été marquante, décisive même. J’ai découvert le milieu hospitalier, où les gestes de solidarité sont vitaux, mais, plus profondément encore, l’authenticité radicale de la communication avec les patientes. On ne triche pas, on ne peut pas faire semblant avec quelqu’un qui souffre et qui vit un des moments les plus importants de sa vie.

Bien sûr, mettre en œuvre cette communication n’est pas donné à tout le monde. Dans mon métier, soit on adhère aux autres, à leur souffrance comme à leur joie, soit il faut partir. Cet art de la communication suppose d’être assez intrusive, pour obtenir les informations nécessaires à la sauvegarde médicale des patientes, à l’efficacité des soins, mais nécessite aussi de savoir rester à la bonne distance, afin de préserver la dignité et l’intimé de chacune d’entre elles. Cela recoupe les deux dimensions principales du métier de sage-femme : la technique médicale et la charité, celle-ci faisant l’essentiel du charme de notre activité.

Vous parlez de « charme », avec flamme, comme on parle d’une sorte de magie…

C. V. : La magie est au rendez-vous, à chaque garde en maternité. Mes collègues parlent souvent de la magie particulière du moment de la naissance. Mais pour moi, ce n’est pas ce moment où je sors le bébé qui est le plus crucial, le plus extraordinaire, car je suis alors en pleine concentration technique, médicale, mes antennes affectives étant dès lors complètement repliées. Personnellement, ce qui me bouleverse le plus, ce qui m’émerveille toujours, c’est la tendresse qui s’exprime souvent dans les couples, les futurs papas étant aujourd’hui pratiquement toujours présents, puis entre les nouveaux parents et l’enfant qui vient de naître. Il y a aussi ces échanges très simples, parfois très drôles, entre la sage-femme et la parturiente qui s’inquiète de savoir si son enfant aura la tête du prénom qu’elle a choisi… Mais, surtout, je trouve très belles ces occasions d’écouter, d’échanger, de tenir une étrangère par la main.

Êtes-vous favorable à la présence des futurs pères en salle d’accouchement ?

C. V. : Ce que j’aime beaucoup, c’est de voir ces jeunes couples, dont le mari ou le compagnon est attentionné tout plein, mais qui tourne un peu en rond, avec son petit vaporisateur d’eau à la main. La présence des hommes en salle d’accouchement est devenue une quasi-obligation, sous la pression terrible de la société, ce qui n’est pas toujours bon. Ainsi, je vois des choses très hétéroclites : des hommes très présents et proches de leurs compagnes, mais aussi ceux qui lisent L’Équipe dans un coin de la pièce…

Cette dernière image ne relève pas vraiment de l’ordre du merveilleux…

C. V. : Étrangement, c’est quand on n’a plus besoin de moi, quand le couple se suffit à lui-même, que la nouvelle famille prend vie autour du bébé qui vient tout juste d’arriver, que je vis les moments les plus touchants. L’enfant vient de naître ; je le pose sur le ventre de sa maman ; la première tétée a lieu dans les premières minutes. Et si tout va bien, je laisse la maman et son petit faire connaissance. Je veille à distance.

Cette découverte réciproque, presque immédiate, entre le bébé et sa mère me fascine. D’autant plus que l’on comprend très vite que c’est l’enfant, pourtant si vulnérable et dépendant, qui donne le rythme, qui oblige tout de suite ses parents à grandir. En fait, ce qui est de l’ordre du merveilleux, ce qui est vraiment une merveille, ce sont les regards de la maman et de l’enfant qui se cherchent pour la première fois, quand on pose celui-ci sur le ventre de celle qui vient de lui donner la vie. Malgré le fait que le bébé ne voit pas, il y a toujours un moment où il ouvre les yeux et où il les tourne vers le visage de sa mère.

Ces images vous mènent-elles jusqu’à un émerveillement au-delà du sensible ?

C. V. : Forcément. Par la naissance de l’enfant, c’est l’histoire d’un couple ou de toute une famille qui prend une autre dimension, car elle est liée ainsi plus profondément au renouvellement perpétuel de l’humanité. On se dit, à chaque fois, que si quelqu’un meurt, forcément, presque au même moment, cette naissance reprend et tient haut le flambeau de la vie.

J’ai travaillé longtemps à Saint-Antoine, où, sur une garde de vingt-quatre heures, on passait en quelques minutes d’une interruption de grossesse ou de la perte d’un nourrisson trop prématuré à un accouchement heureux, où l’on se battait contre la mort et où, un quart d’heure plus tard, on se régénérait au premier cri d’un bébé tout juste sorti du ventre de sa maman. Tout ceci, qui est le fond de la vie, n’est pas pour moi miraculeux, mais parler de « merveilleux » ne me paraît pas excessif. Oui, à propos de chaque naissance, « merveille » est le bon mot.

Née en juillet 1968, à Paris, Christèle Vérot enseigne depuis août 2010 à l’école de sages-femmes de la maternité Baudelocque (Paris 14e). Diplômée en 1994, elle a passé ensuite le concours de l’école de cadres sages-femmes, qui conduit à l’enseignement, en l’an 2000. Durant les six premières années de sa carrière, Christèle Vérot a exercé à l’hôpital Saint-Antoine (Paris 12e), où elle a aussi enseigné son métier pendant une dizaine d’années. Elle intervient dans les instituts de formation des kinésithérapeutes et des infirmiers. Elle est l’auteur de nombreux articles, fiches pédagogiques et chapitres pour les revues, sites Internet et ouvrages d’obstétrique.

Laisser un commentaire