
- Antoine PEILLON, avec Armelle CANITROT
- Le 23 mars 2012
Certains l’avaient déjà enterré. Il est clair que le métier de photojournaliste a connu, depuis le milieu des années 1990, une mutation brutale qui a entraîné fermetures d’agences prestigieuses, disparitions de revues et magazines illustrés et renoncements de grandes « signatures ». Les difficultés économiques de la presse ont, entre autres, généré la précarité pour de nombreux reporters. Mais le perfectionnement numérique des appareils, la diffusion par Internet et, surtout, l’efficacité toujours confirmée de l’information visuelle redonnent vie, certes modestement, à une multitude de talents, de collectifs et de nouvelles publications portant haut les couleurs du photojournalisme.
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UNE CASCADE DE MUTATIONS
1er juillet 1848 : en France, un premier daguerréotype est publié dans L’Illustration.
1856 : lors de la guerre de Crimée, le photographe anglais Roger Fenton se rend sur le terrain avec son assistant Szathmary-Papp. C’est le premier photo-reportage international. 1898 : parution des premiers magazines photographiques : La Vie illustrée et Lecture pour tous.
Dès 1904 : le Daily Mirror (Angleterre) illustre ses pages avec des photographies uniquement.
1913 : l’héliogravure rotative permet le lancement d’une deuxième génération de magazines photographiques comme Le Miroir, tandis que la fabrication du premier Leica 24 × 36 mm ouvre une nouvelle ère du photo-reportage.
1927 : la famille Garai crée Keystone, première agence de news et réseau mondial d’échanges photos où chaque agence du réseau envoie sa production aux autres et revend celle qu’elle reçoit de celles-ci.
1947 : quatre très grands photographes (Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, David Seymour, alias Chim, et Georges Rodger) créent Magnum, une coopérative qui distribue la production photographique de ses membres et devient l’agence légendaire du photojournalisme humaniste.
1967 : Hugues Vassal, Hubert Henrotte, Raymond Depardon et Gilles Caron créent l’agence Gamma, à Paris. Suite à une scission de Gamma, Sygma naît en 1973 et devient très vite la plus importante agence du monde en chiffre d’affaires, en volume d’archives, en sujets distribués par jour, en nombre de photographes. Paris devient la capitale mondiale du photojournalisme.
Après Gamma, en 2009, Sygma est mise en liquidation judiciaire en mai 2010. Une nouvelle histoire commence, grâce à la vitalité de petites structures, les agences Magnum et Vu, ou des nouveaux “collectifs”.
« Montrer aussi les beaux moments d’humanité »
- Recueilli par Antoine Peillon
- Le 23 mars 2012
DIMITRI BECK
Rédacteur en chef de Polka, le magazine (bimestriel) du photojournalisme : http://www.polkamagazine.com/
“Nous, journalistes, avons le besoin d’aller voir ce qui se passe sur le terrain. Certains disent que l’engagement d’un photoreporter sur des terrains comme l’Afghanistan ces dernières années, la Libye l’an dernier, la Syrie aujourd’hui relève de l’irresponsabilité. Non, il n’y a pas d’irresponsabilité !
Aujourd’hui, dans ces situations, nous ne savons pas où le danger se trouve, puisqu’il est partout. Pour tous ceux qui ont couvert des conflits, l’accident n’est pas une preuve d’irresponsabilité. En revanche, les reporters doivent communiquer entre eux, parler, partager leurs expériences et si possible leurs informations, pour prendre les bonnes décisions, pour éviter de se mettre en danger plus que nécessaire.
On se pose tout de même des questions quand un confrère meurt, mais sans mettre en cause une soi-disant irresponsabilité.
Prenons le cas récent de Rémi Ochlik, tué à Homs, en Syrie, à l’âge de 28 ans, le 22 février dernier. Avant cet événement fatal, tout le monde s’est accordé à trouver son travail formidable, extrêmement professionnel. Quand, à 20 ans, 22 ans, 24 ans, il partait en Haïti, puis en Égypte, en Tunisie, en Libye…, personne ne s’interrogeait sur une soi-disant excessive prise de risques. Rémi était d’ailleurs aux côtés du photographe français Lucas Mebrouk Dolega lorsque celui-ci fut tué à Tunis. Ses photos, toujours très fortes, ont notamment été publiées dans Paris Match, Time magazine et le Wall Street Journal. Tant qu’il revenait vivant, personne ne parlait de responsabilité, voire d’immaturité.
De toute façon, du point de vue de l’information, il faut continuer à aller sur les lieux de conflits, même les plus durs. Et ceci pour tout montrer, sans parti pris de tragédie a priori.
Montrer aussi, au-delà des drames, les beaux moments d’humanité qui se vivent parfois dans les moments et les lieux des plus graves tensions. Le titre de notre magazine, Polka, est le nom d’une danse. Pour nous, c’est la danse de la vie : il y a des pas difficiles, extraordinaires, vertigineux, et il y a des moments doux, subtils et charmants.”