Le Vigan, chef-lieu du réveil cévenol

Photos : © Ishta

  • Antoine Peillon (au Vigan)
  • Le 9 avril 2015

En mars 2014, la liste conduite par Éric Doulcier aux élections municipales du Vigan a été élue avec 59,3 % des suffrages, dès le premier tour. Il s’agissait, en fait, d’une réélection très encourageante, le maire ayant déjà effectué un premier mandat, depuis 2008.

Auparavant, pendant vingt-cinq ans, Éric Doulcier était libraire. Le libraire du Vigan (1). Habituellement connu comme « républicain » et aussi comme « écologiste », ce natif du pays refuse obstinément toute bannière partisane. « Je suis du Vigan », raconte-t-il, légèrement épuisé par l’entre-deux tours des dernières élections départementales auxquelles il participait, « passionné par l’histoire et la littérature ».

Sa librairie fut – elle l’est toujours – « un lieu de rencontres, d’échanges, de convivialité », ce qui suffisait déjà à l’occuper pleinement, d’autant qu’Éric Doulcier était aussi très engagé dans la vie de nombreuses associations locales.

Well, Bresson-Rande, secteur public : des fermetures en série

C’est un accident économique et social majeur qui décida le libraire à passer le pas de l’engagement politique. À l’automne 2006, Well, le grand fabricant de bas, collants et lingerie, basé au Vigan, annonçait la suppression de centaines d’emplois dans les deux années suivantes.

En quinze ans, c’était le quatrième plan social de l’entreprise, laquelle employait quelque 1 200 salariés du Vigan en 1994 (2)… À la même époque, en 2000, et dans le même secteur industriel, les établissements Bresson-Rande avaient fermé et supprimé 130 emplois.

Quant au secteur public, dans tout le canton, l’ordre du jour était aussi à la fermeture : mutation des bureaux de poste en agences postales à Alzon, Aulas, Avèze, Montdardier ; fermetures d’écoles programmées à Dourbies et Saint-Martial ; trésoreries regroupées ; tribunal d’instance, services d’EDF et de la SNCF en instance de disparition…

Valoriser de nouvelles richesses issues du terroir

« Il fallait changer, inverser la tendance, se souvient Éric Doulcier, sortir de la spirale qui nous tirait vers le fond, d’autant qu’en tant que libraire je voyais les énergies, les intelligences, les ressources potentielles pour redresser le pays. »

Élu maire, en 2008, avec une nouvelle équipe municipale en accord avec sa « réaction vitale », il apprend vite à gérer un budget de plus en plus réduit, à conduire les travaux communs d’entretien et de rénovation de la ville, mais aussi à inciter ses concitoyens à valoriser de nouvelles richesses issues du terroir et de l’histoire du « Sud Cévennes ».

« Tout le monde nous disait : ”L’environnement est votre trésor” », se souvient-il. Un dispositif convivial, « sorte d’université populaire ou de week-end de réflexion collective », est donc rapidement mis en œuvre : les « éco-dialogues », dont la première édition, en février 2010, portait sur le thème « Biodiversité(s) d’ici et d’ailleurs », avec la participation remarquée de Francis Hallé, ancien directeur des missions scientifiques du « Radeau des cimes » sur les canopées des forêts tropicales.

Oignons doux et champignons sauvages

En juin 2011, une autre rencontre, organisée autour de Stéphane Hessel, célèbre résistant et ancien ambassadeur de France, sur le thème « Environnement et citoyenneté, comment repenser les droits de l’homme ? », a réuni plus de 1 200 personnes dans la cour du lycée et collège André-Chamson de la petite ville cévenole.

Depuis peu, les initiatives de relations avec Montpellier, la grande agglomération régionale, se multiplient, afin d’inverser la tendance à la décrue économique et démographique générée par le choc des plans sociaux successifs de Well.

Des étudiants en master à la faculté des sciences de la capitale occitane sont logés au Vigan, afin d’y mener des recherches appliquées sur la production de l’oignon doux, sur le plan de développement durable (Agenda 21) du canton ou même sur un projet européen de promotion d’une gestion forestière prenant en compte l’écologie et l’exploitation potentielle des champignons sauvages comestibles (programme « Micosylva »).

Un regain économique et démographique

Aujourd’hui, Le Vigan et le territoire Sud Cévennes semblent renouer avec le regain économique et démographique des années 1975-1990, lorsque sa population passait de 4 200 à 4 525 habitants (le minimum démographique avait été atteint après la Libération, avec 3 676 personnes recensées en 1946).

Grâce au développement d’une économie de niche, à forte marge, l’emploi n’est plus à la baisse. La coopérative de l’oignon doux des Cévennes, à Saint-André-de-Majencoules, et une demi-douzaine de producteurs individuels, à Soudorgues, Mandagout, Saint-Martial, Saint-André-de-Majencoules et Saint-Julien-de-la-Nef, font vivre une centaine de familles.

Sur la route de Saint-Roman, à Sumène (à 13 km du Vigan), Serge Massale a innové dans la confection de bas et de collants de tradition, mais aussi d’écharpes en soie, revivifiant une entreprise familiale centenaire (Arsoie) qui emploie aujourd’hui quelque 35 personnes.

L’effet attractif du parc national des Cévennes

À Saint-Martial, Patrick Ducros, fondateur de l’Artisanale du cachemire, emploie près d’une dizaine de salariés pour la fabrication de pulls de luxe en laine de chèvres mongoles. Et partout dans la montagne, les bergeries et chèvreries fabriquent des pélardons. Du miel, des châtaignes, des confitures de fruits sauvages et des sirops artisanaux sont produits de plus en plus souvent en agriculture biologique.

À chaque échange avec ces artisans et paysans innovateurs, l’effet attractif du parc national des Cévennes, dont Le Vigan accueille une « antenne », est souligné. Beaucoup de clients des producteurs des Cévennes méridionales sont de fait conquis lors de leurs randonnées vers les sites spectaculaires du mont Aigoual, du cirque de Navacelles, ou sur le magnifique chemin qui relie Aumont-Aubrac (Lozère) à Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault) en onze jours d’une marche époustouflante.

(1) Librairie Lou Pouzadou, du nom d’un petit puits en occitan.

(2) 168 licenciements en 1998 ; 113 licenciements en 2003 ; 110 licenciements en 2006 et 150 en 2008.

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La « renaissance » des Cévennes

  • Antoine Peillon
  • Le 9 avril 2015

Si Giono, conteur de Regain (1930), passait aujourd’hui par le Gard, entre Anduze et Le Vigan, sans doute en serait-il nouvellement inspiré. Mais c’est aux historiens Patrick Cabanel et Philippe Joutard, ainsi qu’à cinq autres chercheurs en sciences humaines, qu’il est revenu d’écrire le livre de la « renaissance » des Cévennes (1).

Le mot est fort, mais il paraît juste, puisque les Cévennes ont été données pour mortes, dans les années 1970, alors qu’un long siècle de déprise se soldait par un effondrement démographique presque total. Patrick Cabanel donne toute la mesure de cette mort annoncée, en quelques pages qui font écho – nombreux chiffres à l’appui – à ce livre terrible de Jean-Pierre Chabrol, Le Crève-Cévenne, publié en 1972.

« Au recensement de 1975, l’étiage est atteint dans les Cévennes, écrit l’historien, le désert est proche, avec l’abandon, les ruines, les friches. Le bâti se défait, des hameaux entiers sont délaissés, outre d’innombrables fermes isolées, le paysage se transforme en profondeur : les terrasses et les prés s’embroussaillent, le châtaignier recule face aux résineux. »

Renaissance culturelle

Mais un « miracle » a eu lieu. Car, dès le début des années 1980, le regain des Cévennes a la puissance d’une renaissance : « Du recensement de 1975 à celui de 2009, le canton d’Anduze a gagné 5 158 habitants, soit une progression de 70 % en une trentaine d’années ; (…) la Cévenne rurale et de piémont a progressé de 3 210 habitants, soit + 15,8 %… »

Au-delà des chiffres, l’ouvrage publié par Alcide, éditeur nîmois lui-même représentatif de cette renaissance qui est aussi culturelle, démontre que ce regain est d’une qualité particulière : densité surprenante de librairies, comme au Vigan (où le libraire est aussi le maire charismatique), à Anduze, à Saint-Hippolyte-du-Fort ; multiplication de sites Internet, de manifestations culturelles, de conférences, de musées, d’associations, d’artisans et de « paysans » bio…

Philippe Joutard en est sincèrement ému, qui constate que le « désir de Cévennes », articulé à une traditionnelle « culture de résistance », montre « comment la mémoire, à condition de ne pas être pure nostalgie et enfermement dans le passé, est une chance pour affronter l’avenir ».

  • Les Cévennes au XXIe siècle, une renaissance, Alcide et Club cévenol, 2013, 188 p., 19,90 €.

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