Vendanges bourguignonnes avec les pionniers du vin bio

  • Antoine Peillon à Cercot-Moroges (Saône-et-Loire, Bourgogne), les 20 et 21 septembre 2012
  • La Croix, le 30 octobre 2012

Photos : © ISHTA / reportage photo complet

Depuis tôt ce matin, toute l’équipe des vendangeurs est déjà dans la vigne, sous la houlette de Pierre d’Heilly. Les sécateurs cliquettent et brillent dans le soleil, juste sous le mont Avril, ce sommet sauvage de la côte chalonnaise, qui culmine à 421 m. À la cuverie de la propriété, Martine Huberdeau passe une benne bien remplie de chardonnay doré – tout juste récolté « derrière la maison » – à l’égrappoir à raisin, puis au pressoir, et fait couler le jus bouillonnant dans la cuve où il va commencer aussitôt sa fermentation.

Sous un ciel bleu comme il y en eut peu cette année, Pierre apprécie de vendanger au mont Avril. « Ici, c’est surtout pour se faire plaisir que nous récoltons, car le rendement est tout petit », explique-t-il. « Nous sommes en limite d’altitude, les herbes foisonnent sur les talus, on y trouve de magnifiques orchidées, et c’est blindé d’oiseaux », ajoute-t-il en arpentant la parcelle d’un demi-hectare, sourire fin sous sa moustache gauloise.

Ici, le chardonnay est ultra-mûr et les pinots noirs donneront le « Quart Chapeau », une cuvée particulièrement soignée d’un côte-chalonnaise rouge où s’exprimeront, entre autres, des arômes de figue et de pruneau d’Agen que l’on goûte déjà dans le raisin.

L’année 2012, particulièrement difficile

« Cette année, la récolte est très peu abondante, c’est vrai, mais elle est très saine. Nous nous sommes bien débrouillés », se félicite Pierre d’Heilly. De fait, autour de ses cinq hectares et demi de vignes cultivées selon les règles de l’agriculture biologique depuis bientôt trente-cinq ans, de nombreuses parcelles encore gérées à grand renfort de chimie ne portent pratiquement plus de raisin.

L’année 2012 restera dans les annales de la viticulture bourguignonne comme une des plus dures. Les pluies et grêles du printemps – en mai surtout – ainsi que des périodes de fortes chaleurs et d’humidité ont fait exploser les attaques de l’esca (champignons parasites), de l’oïdium (encore des champignons) et du mildiou (moisissure).

Mais chez Pierre d’Heilly et Martine Huberdeau, les parades ont été à chaque fois trouvées à temps. L’herbe, moins tondue qu’habituellement, a épongé beaucoup d’humidité ; la présence constante dans les vignes, pour couper toutes les feuilles et tiges contaminées ou pour diffuser souvent de très faibles doses de cuivre et de soufre, a eu raison de l’épidémie qui menaçait comme jamais.

Vidéo : © Antoine Peillon

La viticulture biologique, une course d’obstacles

Il y a une grande trentaine d’années, se lancer dans la viticulture biologique ressemblait à une course d’obstacles. Dans toute la Bourgogne, ils étaient à peine une trentaine de pionniers à avoir osé. Obtenir de l’Institut national des appellations d’origine (Inao) le droit de planter des vignes en rangs plus larges, ce qui améliore l’aération et l’insolation des raisins, favorise le maintien d’un herbage et facilite le travail manuel, nécessitait des trésors de patience. Mais la conviction naturaliste du couple d’Heilly-Huberdeau, formé sur les bancs de l’université de Rennes en 1975, au cours d’une licence d’écologie, n’a jamais failli.

Tous deux se souviennent : « Au début, les gens rigolaient. C’était l’époque où les vignerons passaient justement des labours à cheval entre les rangs au miracle chimique. Ils pensaient se débarrasser ainsi définitivement de l’araignée rouge, un véritable fléau. Mais c’est le contraire qui est arrivé : les insectes prédateurs de cet acarien, notamment les typhlodromes, ont été liquidés par les pesticides. Plus les viticulteurs traitaient leurs vignes, plus celles-ci étaient ravagées par les araignées rouges. Et nous, quand on disait que nous n’avions pas d’araignées rouges, nos voisins ne nous croyaient pas, malgré les études très rapidement réalisées dans nos vignes par la chambre d’agriculture et l’Institut technique de la vigne et du vin, notamment par l’ingénieur Gilles Sentenac. »

La relève bio est assurée

Aujourd’hui, la reconnaissance des ingénieurs agronomes aidant, les pionniers du vin bio sont suivis par des centaines de jeunes viticulteurs bourguignons et par des milliers d’autres en Languedoc, Beaujolais, Provence, Val de Loire, Alsace et Bordelais.

« Le milieu viticole est avisé, surtout dans les crus », analyse Pierre d’Heilly, avant de préciser : « Tout près d’ici, à Givry, une très belle appellation, les jeunes font des études poussées. Ils comprennent vite qu’il n’y a pas d’autre choix que la viticulture biologique pour durer. On ne compte plus les conversions, surtout depuis cinq ans, à Rully ou à Mercurey, par exemple. C’est un progrès considérable pour l’environnement, pour notre santé et aussi pour la qualité du vin. »

Domaine du Chétif Quart (famille d’Heilly-Huberdeau)

Le vignoble français se convertit au “bio”

  • Antoine Peillon
  • Le 30 octobre 2012

Les tout derniers chiffres sur « la bio » (1) démontrent une dynamique exceptionnelle, surtout dans un contexte de décroissance historique de la consommation alimentaire des Français (– 1 % en hyper et supermarchés lors du premier semestre 2012).

Les achats de produits alimentaires bio (grande distribution) ont augmenté de 4,7 % entre le premier semestre 2011 et la même période en 2012. Côté production, le nombre d’exploitations agricoles bio a doublé en cinq ans, passant de 12 000 en 2007 à plus de 24 000 à la mi-2012. Enfin, le seuil du million d’hectares cultivés, selon les cahiers des charges de l’agriculture biologique, a été franchi au début de l’année.

Nouvelle certification « vin bio »

Parmi toutes les productions, la viticulture bio connaît une croissance exceptionnelle. De 1995 à 2011, les surfaces de vignes converties ont été multipliées par 12 ! Cette tendance ne cesse de s’accélérer, puisque la seule année 2011 a enregistré une augmentation de 21 % des surfaces viticoles bio par rapport à 2010…

Cerise sur la bouteille, une nouvelle réglementation européenne encadre, depuis le 1er août 2012, la vinification (en cuve et en cave) et non plus seulement la production des raisins. La certification « vin bio » supplantera désormais l’insuffisante mention « vin issu de raisins de l’agriculture biologique ». En conséquence, certaines pratiques courantes sont proscrites, mais c’est surtout la réduction de la dose maximale de soufre (de 50 mg/l à 30 mg/l de SO2) qui satisfera les amis de la dive bouteille.

  • Dossier de l’Agence Bio, groupement d’intérêt public unissant les actions des ministères de l’agriculture et de l’écologie, de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), de la Fédération des coopératives agricoles (Coop France), de la Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (FNAB) et du Syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique (Synabio), en date du 2 octobre 2012.

Vidéo : © Antoine Peillon

L’abondante vendange de l’esprit bio

Martine Huberdeau et Pierre d’Heilly, viticulteurs bio en Bourgogne

Par Martine Huberdeau

La Croix, le 24 juillet 2015 (recueilli par Antoine Peillon)

Notre installation à Cercot (Saône-et-Loire), au cœur de la côte chalonnaise, nous a orientés tout naturellement vers la vigne, alors que nous étions tournés, à l’époque, vers les animaux. Ici, nous avons repris un domaine familial, anciennement viticole, avec de belles caves et des terres à vigne. On a démarré, en 1978, avec 80 ares de vignes. Aujourd’hui, nous collectionnons les médailles dans notre appellation et nous produisons un givry blanc premier cru depuis 2006, un vin rare, aux arômes de fleurs blanches et jaunes réveillés par une fine minéralité et des notes d’agrumes, ainsi qu’un côte chalonnaise rouge dit « le quart chapeau », fruit d’une sélection de vignes suivie d’une sélection sévère de vendanges et de raisins, élevé pendant dix-huit mois en fûts de chêne.

C’est donc d’abord le lieu qui nous a emportés vers la viticulture, même si le vin y était alors moins porteur d’histoire que maintenant. Quand nous étions très jeunes, nous avions fait les vendanges. Nous avons perfectionné progressivement nos techniques et tours de main au gré de notre propre expérience, mais aussi par des formations, et grâce aux conseils de certains œnologues. Nous nous sommes très vite investis dans des syndicats agricoles bio, où il y avait quelques autres vignerons. Le travail en commun, avec nos pairs, a été essentiel pour inventer, en quelque sorte, la viticulture bio de qualité. Mais il y avait aussi, à Cercot, un vigneron aîné, Fernand, tempérament enthousiaste qui a su nous transmettre son amour du travail.

Nous avons beaucoup reçu chez nous de nouveaux viticulteurs et aussi des techniciens pour leur expliquer la bio, et diffusé aussi notre expérience dans des salons du vin, durant des années. Cela représentait une grande part de notre vie, en fait.À travers cette transmission, nous souhaitions surtout porter le message du respect artisanal des milieux naturels, du travail et des hommes. Nous avons mis aussi en place un certain nombre de services, au niveau régional (1), qui permettent toujours d’aider les viticulteurs, par des rencontres, et de transmettre notre expertise, si besoin. Transmettre des techniques, certes, mais la transmission d’un état d’esprit est plus importante.

Au début, c’était l’époque où les vignerons passaient justement des labours à cheval entre les rangs de vigne au miracle chimique. Aujourd’hui, grâce à la reconnaissance des ingénieurs agronomes, entre autres, les pionniers du vin bio ont déterminé des centaines de jeunes viticulteurs bourguignons à passer le pas vers une sorte de retour à l’essentiel, et même des milliers d’autres en Languedoc, Beaujolais, Provence, Val de Loire, Alsace et Bordelais…

Tout près de chez nous, à Givry, à Rully ou à Mercurey, des jeunes ont compris qu’il n’y a pas d’autre choix que la viticulture biologique. Nous avons donc transmis notre passion à beaucoup de gens, d’une façon ou d’une autre. De même, nous transmettons en douceur ce que nous avons construit à nos deux fils, lesquels nous semblent d’ailleurs demandeurs de partager nos savoirs quant à la vigne, au vin et à l’écologie. En espérant accompagner le mieux possible la relève.

(1) Le Service d’écodéveloppement agrobiologique et rural de Bourgogne (Sedarb), ou la Confédération des groupements d’agriculteurs biologiques (CGAB), par exemple.

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