Balades de Jean-Jacques Razafindranazy, ou les escapades d’un portrait peint “à fresque”.
Chronique d’un sourire
Jean-Jacques Razafindranazy était médecin urgentiste à la retraite. De retour de Madagascar à la fin février 2020, il était en pleine forme, selon le témoignage de ses enfants. Il va alors sans attendre prêter main forte au Centre hospitalier de Compiègne submergé par le flot incessant et croissant de patients atteints du Covid-19. Dans un contexte où les services de santé sont démunis face à la pandémie, malgré les signaux d’alerte lancés juste avant sur les manques de moyens et d’effectifs, les personnels soignants seront exposés en première ligne aux ravages du virus. Rapidement, l’état de santé du médecin urgentiste se dégrade. “Il est revenu d’une garde très fatigué”, déclare son fils. “Il ne mangeait plus, alors que c’était un bon vivant.” Bien que se sachant malade, il a voulu retourner travailler. Ses collègues ont tenté de le mettre à l’écart. Le 4 mars, il a été hospitalisé, puis transféré à Lille, où il décède le 21 mars 2020, dans la solitude. Par protection sanitaire, il n’a pas pu revoir sa femme et ses enfants.

Le dimanche 22 mars 2020, à peine quatre jours après le début du confinement, je découvre par la presse le visage éclairé d’un large sourire du “premier médecin français mort du coronavirus”.
J’ai alors lu la brève chronique de sa vie, la fulgurance de son achèvement et le bouleversant témoignage de son fils.
Un au-delà de l’émotion, œuvre en construction !
Je me rappelle être resté médusé de longues minutes, devant l’écran de mon ordinateur, fixant ce sourire lumineux et plein de vie, entouré par les “pattes de mouches” noires de la typographie du terrible récit.
Je sentis qu’il se passait là quelque chose qui dépassait le choc émotionnel et que se révélaient encore confusément des questionnements simples sur le sens de la vie, sur notre relation aux autres, sur ce que je traduirais par le mot lapidaire “d’humanité”.
Alors, comme une évidence, il me fallait, en cette période d’isolement contraint, trouver – ou plutôt dessiner – une fenêtre ouverte sur le Monde, ouverte sur vous, ouverte sur moi-même. Je savais que “l’art”, cette chose étrange et énigmatique présente en moi depuis toujours, était là pour dire ce qui se passe, le “fatras” de la vie et de ses interrogations ; un écheveau emmêlé, mis au jour, de nos doutes, de nos croyances, de nos certitudes, de nos émotions, de nos idées, de nos sentiments…
Il me fallait, dans l’urgence, “faire signe” !
J’ai intuitivement senti qu’à travers le sourire de Jean-Jacques Razafindranazy passait le sourire de l’humanité entière, un sourire comme tous les sourires, fragile et éphémère, traversant avec force et légèreté les époques et les frontières.

Le lundi 23 mars 2020, à 5 heures du matin, je préparais un enduit de fresque fait de sable et de chaux aérienne. Je savais qu’il me fallait, avant le soir, poser ce sourire. La technique de la peinture “a fresco” n’attend pas : aucun retour en arrière, une mise en route irréversible de l’urgence. Les pigments seront fixés par la carbonatation de la pellicule de chaux, la peinture transformée en pierre sans effacement ou repentir possible !
Les balades de Jean-Jacques Razafindranazy
Comment faire partager ce sourire ? Il était venu à moi, saisi par un ou une photographe, repris par la presse, il avait parcouru les réseaux d’internet, s’était glissé dans la fibre pour apparaître en pixels sur mon écran : il était “voyageur » ! Il ne pouvait rester dans mon atelier et devait poursuivre sa route.
En 1994 j’avais réalisé la première pièce de la série des “Bohémiennes » : des mosaïques portatives que je déplaçais dans la rue sans les fixer, que je mettais en scène et que je photographiais ; l’œuvre étant tout à la fois peinture, mosaïque, installation, déplacement et photographie. C’est donc tout naturellement que je conçu ce portrait voyageur de Jean-Jacques Razafindranazy pour l’intégrer à cette série des “Bohémiennes” amorcée 26 ans plus tôt.
Comme pour le théâtre classique je me suis fixé la règle des trois unités en l’intégrant aux contraintes fixées par l’état d’urgence sanitaire et stipulées dans l’attestation de déplacement dérogatoire.
- Unité de lieu : un kilomètre maximum autour du domicile
- Unité de temps : durée de déplacement d’une heure quotidienne maximum.
- Unité d’action : mettre en scène le portrait, le photographier et diffuser l’image sur la “Toile”
Balade du lundi 23 mars au soir
Premier voyage


Balade du 24 mars 2020
“De la porte de l’atelier à la rue”








Balade du 26 mars
Dessins d’enfants, carré Sylvia-Montfort



Balade du 28 mars
Avec attestation de déplacement dérogatoire




Balade du 29 mars 2020
Vision d’atelier, paysage et amaryllis


Balade du 30 mars
Sur le pont du bateau-atelier

Balade du 2 avril
Hôpital Saint Joseph, rue Raymond-Losserand



Balade du 3 avril
Les cerisiers étaient en fleur, à l’entrée du parc Georges-Brassens



Balade du 4 avril
Chantier de la rue Chauvelot, terrain vague et métaphorique

selfie-ficelle




Balade du 5 avril
Le sens, dessus-dessous de l’œuvre


Balade du 6 avril
Les réanimations de la terre

Balade du 7 avril
Rue Camulogène


Balade du 8 avril


Balade du 9 avril
Poème en déplacement
“Sûr qu’il aurait aimé ces beaux jours de soleil et ces pains croustillants”




Balade du 10 avril
Apparition de Jean-Jacques Razafindranazy, avec attestation de déplacement


Balade du 11 avril
La mosaïque de 1991 et le train du Mont-Parnasse


Théâtre du monde
ou les balades en atelier
Avec un durcissement des mesures sanitaires, les déplacements ont été restreints. L’heure autorisée d’activités physiques devait par exemple se faire à partir de 19h, heure à laquelle je postais mes images sur les réseaux. Cette contrainte supplémentaire m’a donné l’idée de ces “voyages en atelier”, prolongement des “balades” et que j’ai nommé : “Théâtre du monde”.
Pièces en un acte : celui de cette balade interne et composée d’une mise en scène quotidienne.
Représentation du 12 avril 2020
Acte1, scène 1
Coulisses

Scène charmante

Représentation du 13 avril
Acte 1, scène 2

Représentation du 14 avril
Acte 1, scène 3

Représentation du 15 avril
Acte1, scène 4
A la mesure des lumières
Un infini sourire

Représentation du 16 avril
Acte 1, scène 5

Représentation du 17 avril
Acte 1, scène 6
Le diapason du ciel

Représentation du 18 avril
Acte1, scène 7

Représentation du 20 avril
Acte1, scène 8
“Ton oubli de toi-même à secourir les autres”
(Viro Major, extrait du poème de Victor Hugo en hommage à Louise Michel)
Mosaïque de la Commune de Paris, 2011

Représentation du 28 avril
Acte 1, scène 9
Entre Madagascar et France, vanille et vanité

Représentation du 1er mai
Acte1, scène 10
La truelle à clochettes


Représentation du 4 mai
Acte 1, scène 11
Ciel de poche

Balade du 5 mai
La parabole de Jean-Jacques

Balade du 6 mai
Les lambeaux du ciel

Éclaboussures d’étoiles


Balade du 8 mai
Luynes, Jean-Jacques Razafindranazy et la blouse malgache
En bas de mon atelier, avenue de la porte Brancion, à Paris



Balade du 10 mai
La marelle de Jean-Jacques
Entre le théâtre Sylvia-Montfort et le Marché aux livres



Dernière balade du 11 mai 2020
Jour du déconfinement, en forêt de Meudon



Mardi 16 juin 2020
Manifestation des soignants à Paris
Applaudir ne suffira pas !




