Limite / chroniques

Tout va très bien… #1 (Limite, octobre 2020)

La disruption du jet-ski

Notre maison brûle et Voici veut nous faire regarder Macron sur son jet-ski. Quand les premiers de cordée se la coulent douce et boivent frais au fort de Brégançon… Pendant ce temps-là, Bernard Stiegler est mort.

« Tout va très bien, Madame la Marquise,

Tout va très bien, tout va très bien.

Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise,

On déplore un tout petit rien… »

Pourquoi ai-je souvent ce refrain – un immense succès populaire de l’été 1935 – qui me revient dans l’oreille, à la lecture ou à l’écoute de l’actualité ? Oui, pourquoi cette chanson pleine d’ironie, attribuée au trop oublié Paul Misraki (1908 – 1998), auteur, compositeur et pianiste inspiré du groupe de Ray Ventura dans les années 1930, dont les œuvres furent chantées aussi par Édith Piaf, Henri Salvador, Yves Montand et Georges Brassens, pourquoi cette farce flotte-t-elle dans l’air de nos jours ? Pourquoi donne-t-elle la tonalité morale de nos temps déraisonnables ?

A l’époque, « Tout va très bien… » symbolisa l’aveuglement des dirigeants politiques de l’avant-guerre, dans la France des accords de Munich. Et des déclinaisons explicites du couplet se succédèrent : « Tout va très bien monsieur Herriot » en juin 1936, puis « Tout va très bien Monsieur Mussolini » (alors en guerre avec l’Éthiopie), et même « Tout va très bien mon Führer », sur les ondes de Radio-Londres, lors de la débâcle nazie à Stalingrad, début février 1943… Mais, comparaison n’étant pas raison, l’été 2020 n’ayant paraît-il rien eu à voir avec le ciel de 1935, où s’accumulaient les nuages du réarmement de l’Allemagne hitlérienne, en cette rentrée des classes masquée et sous contrôle policier lourdement armé (à Macon, à Besançon, au collège Condorcet, à La-Chapelle-de-Guinchay, dans l’Essonne…), je vous le dis, citoyenne et citoyen : « Tout va très bien ! »

D’ailleurs, n’avons-nous pas eu le rare bonheur républicain (la République est à la mode) d’admirer, le 7 août, grâce à la communicante Mimi Marchand et à l’indispensable Voici, un « Emmanuel Macron torse nu et en jet-ski », s’offrant « ces plaisirs auxquels il ne déroge jamais en vacances », lesquelles devaient être tout de même « calmes et studieuses », selon le Journal du dimanche, cette autre potinière si nécessaire à l’information avec un I majuscule.

Oui, tout va bien, puisque nous apprenions alors, en exclusivité (vite relayée par presque tous les médias), que le président de la République s’était « octroyé une petite séance de jet-ski avec ses ‘‘petits-enfants’’ [ceux de Brigitte Macron, en fait], et qu’ensuite, il a taillé la route en solo » au large du fort de Brégançon. « Il avait l’air heureux. Il a même fait de superbes dérapages et arrosé ses gardes du corps les uns après les autres », a confié, de plus, « un témoin » providentiel au rigoureux tabloïd. Bien sûr, les photos étaient très réussies, presque attendrissantes. N’y voyait-on pas, sur l’une d’entre elles, un Emmanuel Macron torse nu et velu, comme s’il venait de s’évader de Koh-Lanta, gratifié de cette légende (celle de la photo) : « Depuis le confinement, comme beaucoup de Françaises (sic), lui aussi a arrêté de s’épiler » ?

Donc, tout va très bien Monsieur le Président. Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise que nous déplorons un tout petit rien. Voyez-vous, chez les marins, les plongeurs et les nageurs en mer (j’en suis), le jet-ski est unanimement dénoncé comme un fléau, exceptionnellement polluant, bruyant, dangereux et provocateur d’incivilité. Et même fauteur de délits : celui de naviguer et de mouiller (jeter l’ancre) dans les eaux protégées d’un parc national marin (Port-Cros), par exemple, ce qui vous avait spectaculairement échappé en 2018, déjà… Mais à part ça, Monsieur le Président, tout va très bien, tout va très bien.

Enfin, il faut pourtant que l’on vous dise que nous déplorons encore quelques autres petits riens. Car, comment ne pas saluer, certes, votre déclaration solennelle de la mi-juillet en faveur de « l’écologie du mieux » et votre volonté conséquente d’inscrire « l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et aussi le respect de la biodiversité » dans la Constitution ? Mais comment ne pas être révolté, pour ne pas dire horrifié, en faisant le premier bilan de la destruction systématique des protections de la nature et de l’environnement par vos gouvernements, depuis 2017 ? Non-respect des engagements pris par la France lors du sommet de Paris (2015) sur le climat ; renoncement à l’interdiction du glyphosate (pesticide), promise pour « au plus tard dans trois ans » en 2017 ; actuel projet de loi permettant le recours à des insecticides néonicotinoïdes, malgré leur interdiction depuis le 1er juillet ; prolongation des centrales thermiques au charbon ; poursuite de nombreux projets d’exploitation du pétrole sur le sol français ; autorisation, fin août, par arrêté ministériel du tir de 17 500 tourterelles des bois, ce qui symbolise une « gestion » 100% pro-chasseurs de la nature ; « déconstruction systématique et à l’échelle industrielle du droit de l’environnement », selon Corinne Lepage, présidente de Cap21 / Le Rassemblement citoyen, ancienne ministre de l’Environnement (Reporterre du 31 août)… La liste ne peut être prolongée ici, mais elle n’est pas close.

Citoyenne, citoyen, tout va très bien, n’est-ce pas ? Et je vous dis ça sans même revenir sur l’exemplaire politique sociale et sanitaire du tout neuf gouvernement de Jean Castex (un autre grand écologiste !), car nous aurons l’occasion d’en reparler ensemble. Mais il ne vous aura pas échappé qu’au milieu de ce merveilleux été 2020, au cours duquel nous n’avons renoncé à aucun des plaisirs auxquels nous ne dérogeons jamais en vacances, notre ami Bernard Stiegler est mort, à l’âge de 68 ans. Ce coup-ci, il ne s’agit pas d’un petit rien. Philosophe radical de la technique, notamment du numérique, mais aussi des industries de l’esprit, mais encore de l’effondrement écologique du capitalisme ultra-libéral, il était l’auteur de ce livre majeur : Dans la disruption : comment ne pas devenir fou ? (Les liens qui libèrent, 2016 ; Actes Sud, 2020).

« Disruption » : le directeur de l’Institut de recherche et d’innovation en avait fait, alors, la signature politique et anthropologique de notre époque, dénonçant, sous ce terme en vogue dans l’univers des startups, la destruction des fondements humains de l’économie et de la société. Alors, ayant lu ou relu Stiegler, ayant donc compris à quel point l’accumulation des petits riens destructifs précipite l’effondrement de notre monde, écoutons d’une nouvelle oreille ce jeune ministre de l’Économie qui déclarait, en novembre 2015 : « L’innovation et la disruption font partie de notre paysage et de notre futur. » Notre futur à tous (Our Common Future) ?[1] Pas encore président de la République, Emmanuel Macron pensait-il déjà à une « petite séance de jet-ski » dont le message, au cœur de l’été 2020, fut incontestablement disruptif ?

« Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien

(…) sauf qu’le château était en flammes. »

Antoine Peillon


[1] Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, présidée par Madame Gro Harlem Brundtland, Nairobi, 10 mars 1987.

ABONNEZ-VOUS / RÉABONNEZ-VOUS A LA REVUE LIMITE

***

Tout va très bien… #2 (Limite, janvier 2021)

Vous avez dit « illibéral » ?

« Une tentation est là qui existe, croissante, aux frontières de l’Europe comme au sein de l’Europe, c’est la tentation des démocraties illibérales. (…) Cette tentation illibérale, nous ne devons pas la prendre à la légère. (…) Plusieurs régimes politiques sont tentés par l’illibéralisme politique et à chaque fois, c’est évidemment la presse qui est la première menacée. (…) Cette tentation illibérale, nous ne devons pas la prendre aujourd’hui à la légère. (…) Au-delà même des tentations illibérales, c’est le modèle du métier de journaliste qui est aujourd’hui remis en cause ou, pour le dire plus justement, dévoyé car nous vivons l’irruption dans le champ médiatique des fausses nouvelles… (…) Cette montée des fausses nouvelles est aujourd’hui totalement jumelle de cette fascination illibérale que j’évoquais puisqu’elle est bien souvent financée par les mêmes, elle est bien souvent utilisée par des puissances qui s’amusent en quelque sorte des faiblesses de la démocratie, de son ouverture extrême, de son incapacité à trier, à hiérarchiser, à reconnaître au fond une forme d’autorité. »

C’était il y a trois ans, tout juste, le 3 janvier 2018. Par six fois, le concept d’illibéral(isme) a sonné sous les ors du palais de l’Élysée. Emmanuel Macron visait-il à produire un effet comique de répétition ? Personne n’a ri, en tout cas, en écoutant ce discours des vœux du président autoproclamé « jupitérien » (dès octobre 2016 !) à la presse[1].

Six fois ! Quand les chiffres avaient encore un sens symbolique, celui-ci, qui ne peut se compter sur les doigts d’une main humaine, signifiait l’innombrable, l’infini quand il se multiplie avec lui-même pour nous faire voir trente-six chandelles…

Foudre jupitérienne sur la démocratie

Dans les semaines qui suivirent, il y eut heureusement de fins esprits pour relever l’incongruité de la litanie élyséenne. Ainsi, le philosophe Michaël Fœssel, authentique disciple de Paul Ricœur, lui, sanctionnait l’abus de langage : « La ’’démocratie illibérale’’ n’existe pas. » (AOC Media, 5 mars 2018) Avant de décrypter la rhétorique néo-libérale des vœux présidentiels : « Parler de ’’démocraties illibérales’’, c’est mettre au crédit du libéralisme tout ce qui est désirable dans la démocratie : promotion des droits de l’homme, indépendance du pouvoir judiciaire, limitation des prérogatives du gouvernement, pluralisme culturel. Or il est une figure du libéralisme qui se caractérise par une indifférence aux droits de l’homme : le néolibéralisme. Mieux vaudrait parler ici de ’’(néo)libéralisme autoritaire’’. »

Prémonitoire !

Car, en France, depuis janvier 2018, la foudre jupitérienne n’a cessé de tomber, comme à Gravelotte, sur la démocratie. Pour s’en tenir à la liberté de la presse, sans oublier pour autant les dizaines de Gilets jaunes éborgnés (au moins 34, selon Désarmons-les) et mutilés, depuis novembre 2018, l’assassinat de Zineb Redouane (à Marseille, le 2 décembre 2018), celui de Steve Maia Caniço (à Nantes, dans la nuit du 21 au 22 juin 2019), celui de Cédric Chouviat (à Paris, le 5 janvier 2020), la répression implacable des protestations contre la réforme des retraites (en décembre 2018 à février 2019), l’humiliation croissante du Parlement[2], les parades factieuses de policiers (à Paris, Rennes, Strasbourg, Besançon…, en décembre 2020)[3], etc., pour s’en tenir donc à la liberté de l’information, le moins que l’on puisse dire, avec l’historien du journalisme Alexis Lévrier, est qu’« il est objectivement plus difficile d’exercer le métier de journaliste depuis l’élection d’Emmanuel Macron » (20 Minutes, 29 juin 2020).

Les faits sont, de ce point de vue, accablants. Tentative de perquisition des locaux de Mediapart, en février 2019[4], convocations de huit journalistes enquêteurs par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)[5], au printemps 2019, reporters blessés par les « forces de l’ordre », de plus en plus souvent arrêtés et placés en garde-à-vue, lors de leur couverture des manifestations[6]…

« Sécurité globale »

Comme ils sonnent faux, aujourd’hui, ces vœux présidentiels du 3 janvier 2018 : « La liberté de la presse n’est pas une liberté spéciale, elle est la plus haute expression de la liberté. (…) Je vous souhaite donc pour cette nouvelle année de pouvoir exercer votre beau métier de journaliste dans l’indépendance et la liberté, de pouvoir chercher la vérité, de pouvoir la dire sans être inquiété, ni mis en danger, de prendre parti quand c’est nécessaire, de changer d’avis quand il le faut. En somme, de faire respirer le débat et la controverse parce que c’est ce qui nourrit notre démocratie. » Car, depuis, Emmanuel Macron a initié, stimulé, encouragé projets et propositions de lois ruinant la liberté de la presse instituée et régulée par la loi parfaite de 1881. Loi de protection du « secret des affaires » (juillet 2018)[7], loi dite « anti-fake news » (novembre 2018)[8] et, depuis l’automne 2020, décrets élargissant le fichage policier sur les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses ou l’appartenance syndicale [9]et, enfin, proposition de loi sur la « Sécurité globale »[10].

Cette dernière atteinte à la liberté d’informer a fait déborder le vase déjà trop plein des inquiétudes, voire des colères démocratiques. A peine le texte – en réalité poussé par le gouvernement – a-t-il pointé son museau à l’Assemblée nationale que l’ensemble presque unanime des syndicats de journalistes, des associations de défense des droits de l’homme, des sociétés de journalistes[11], mais aussi des institutions françaises, européenne et internationales s’est levé pour exiger son retrait, mobilisant des centaines de milliers de citoyens lors de Marches des libertés organisées, en décembre 2020, partout dans le pays et sauvagement réprimées par la police[12]…

Dans un avis publié dès le 5 novembre 2020[13], la Défenseure des droits, Claire Hédon, considère que la proposition de loi « Sécurité globale » soulève des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information ? Silence-radio, au gouvernement.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU estime, dans une lettre envoyée aux autorités françaises, dont le président de la République en première instance, le 12 novembre[14], que la proposition de loi pour une « Sécurité globale » porte « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique » ? Et alors ?

La Défenseure des droits, Claire Hédon, réaffirme, le 17 novembre[15], que l’article 24 de la proposition de loi pour une « Sécurité globale », constitue « une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression » ? Peu importe !

Trente-trois personnalités ayant voté et appelé à voter pour Emmanuel Macron en 2017 lui demandent, le 22 novembre, de retirer ses projets législatifs sur la « Sécurité globale » et contre les « séparatismes »[16], qui, à leurs yeux, font « reculer les libertés d’information, d’opinion, de croyance, d’éducation, d’association, de manifestation et de contestation, (car) laisser faire cette atteinte à nos libertés et à nos droits, c’est installer ce dont l’extrême droite néo-fasciste rêve : un État autoritaire, où l’État de droit devient un État de police » ? Circulez ; sinon, garde-à-vue !

« La Hongrie, la Turquie ou quelque chose comme ça… »

Pourtant, au cours des mêmes semaines de l’Avent, la presse internationale s’inquiétait tout autant de la dérive « illibérale » d’Emmanuel Macron[17]. Le Financial Times, quotidien britannique on ne peut plus libéral titrait ainsi un de ses éditoriaux : « Le plan illibéral de Macron pour protéger la police. » Le quotidien suisse Le Temps s’étendait sur « les faits de violence ou d’abus lors d’une intervention des forces de l’ordre (qui) s’accumulent ».  Avant de suggérer : « Sans l’ouverture d’un débat national, c’est l’image du pays des droits de l’homme qui se trouvera abîmée. » « À Paris, des policiers insultent et tabassent un homme noir sans raison », ajoutait Die Tageszeitung, quotidien allemand, précisant que « les cas de violences policières se multiplient, la plupart en toute impunité ». L’hebdomadaire allemand Die Zeit décrivait une France transformée en « Absurdistan autoritaire ».

La réponse – la seule – du président de la République est venue, le 4 décembre, via le canal numérique de la chaîne YouTube « Brut »[18]. Disons qu’elle fut de l’ordre de la dénégation. « Aujourd’hui, la situation n’est pas satisfaisante mais, pardonnez-moi, cela ne fait pas de nous un État autoritaire. Nous ne sommes pas la Hongrie, la Turquie ou quelque chose comme ça. Je ne peux pas laisser dire que nous réduisons les libertés dans notre pays… », a martelé le chef de l’État.

Cynisme, aveuglement, « haine de la démocratie », pour faire allusion à un livre majeur de Jacques Rancière[19] ? Il faudra bien qu’Emmanuel Macron s’explique un jour devant l’Histoire.

En mars 2019, Michaël Fœssel nous avertissait, dans Récidive (PUF), que l’État de droit est actuellement affaibli, autant qu’à la veille de de l’Occupation : « La France de 1938 vit dans une sorte d’état d’urgence permanent, une situation qui fait écho avec ce que nous vivons depuis plusieurs décennies (plus de vingt lois sécuritaires en vingt ans). Il faudrait au moins se poser la question suivante : qu’adviendrait-il d’un tel arsenal juridique s’il tombait entre les mains d’un gouvernement antidémocratique ? (…) C’est pourquoi je m’inquiète de l’aspect autoritaire des politiques néolibérales menées depuis plus d’une décennie, par l’actuel gouvernement comme par ceux qui l’ont précédé. »

La question n’est-elle pas, en ce nouvel an 2021, d’oser penser et dire que nous sommes d’ores et déjà sous le joug d’un « gouvernement antidémocratique » ? Prenons rendez-vous, citoyennes, citoyens, pour mesurer ensemble, au printemps prochain, l’extension du domaine du « libéralisme autoritaire » dans notre pays[20]. D’ici là, je vous adresse mes meilleurs vœux de liberté, d’égalité et de fraternité !

« Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien

(…) sauf qu’le château était en flammes. »

Antoine Peillon


[1] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/01/03/voeux-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-la-presse

[2] https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/loi-securite-globale-et-article-24-la-fronde-se-leve-chez-les-deputes-en-marche-1268954

[3] https://www.francetvinfo.fr/societe/manifestation-des-policiers/plusieurs-dizaines-de-policiers-ont-manifeste-au-pied-de-l-arc-de-triomphe_4219939.html

[4] https://www.mediapart.fr/journal/france/040219/le-parquet-de-paris-tente-de-perquisitionner-mediapart

[5] https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/journalistes-convoques-par-la-dgsi/qui-sont-les-journalistes-convoques-par-les-services-de-renseignement-francais_3456547.html

[6] https://rsf.org/fr/actualites/violences-policieres-contre-des-journalistes-rsf-porte-plainte-contre-le-prefet-de-police-de-paris + https://www.humanite.fr/violences-policieres-dans-les-manifestations-une-nouvelle-etape-ete-franchie-dans-la-repression + https://www.liberation.fr/france/2020/11/24/les-journalistes-cibles-de-moins-en-moins-collaterales-de-la-police_1806633

[7] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/18/la-loi-relative-a-la-protection-du-secret-des-affaires-est-elle-une-loi-liberticide_5411299_4355770.html

[8] https://www.nextinpact.com/article/30429/109196-loi-anti-fake-news-lamentations-csa-secret-affaires-plateformes

[9] La police et la gendarmerie pourront ficher les opinions politiques, appartenances syndicales et données de santé au nom de la sûreté de l’Etat, a confirmé, lundi 4 janvier, le Conseil d’Etat, rejetant les requêtes de syndicats qui dénonçaient la « dangerosité » de ces fichiers. La plus haute juridiction administrative avait été saisie en référé (procédure d’urgence) par plusieurs centrales syndicales dont la CGT, FO ou la FSU, mais aussi le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, qui dénonçaient le « spectre du Big brother en 2021 ». Les décrets, publiés le 4 décembre 2020 et validés le 4 janvier 2021 par le Conseil d’Etat, autorisent policiers et gendarmes à faire mention des « opinions politiques », des « convictions philosophiques et religieuses » et de « l’appartenance syndicale » de leurs cibles, alors que les précédents textes se limitaient à recenser des « activités ».

https://www.mediapart.fr/journal/france/111220/fichage-politique-des-decrets-elargissant-dangereusement-le-spectre-des-personnes-visees?onglet=full

https://www.nextinpact.com/article/44931/linterieur-muscle-possibilites-fichage-politique

[10] Avis, entre autres, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) : https://www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-la-proposition-de-loi-relative-la-securite-globale + https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042580863

[11] https://www.ldh-france.org/14-decembre-2020-tribune-collective-non-a-la-loi-liberticide-securite-globale-publiee-sur-liberation/

[12] https://www.ldh-france.org/60-000-manifestant-e-s-contre-les-textes-liberticides-en-france-des-interpellations-arbitraires-a-paris/

[13] https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/cp_-_defenseur_des_droits_-_ppl_securite_globale_0.pdf

[14] https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=25705

[15] https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=35092&opac_view=-1

[16] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/221120/monsieur-le-president-nous-n-avons-pas-vote-pour-ca?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-67

[17] https://www.mediapart.fr/journal/international/211120/la-presse-etrangere-s-inquiete-du-virage-autoritaire-d-emmanuel-macron

[18] https://youtu.be/IvkewyupR_8

[19] La Haine de la démocratie, La Fabrique, 2005.

[20] Avec l’aide de Grégoire Chamayou, Ugo Palheta, Romaric Godin et Antoine Perraud, Vanessa Codaccioni, Olivier Fillieule et Fabien Jobard, entre autres.

ABONNEZ-VOUS / RÉABONNEZ-VOUS A LA REVUE LIMITE

***

Tout va très bien… #3 (Limite, avril 2021)

Le mascaron de Macron est tombé

Un ministre de l’Intérieur rivalise de totalitarisme avec la championne de l’extrême droite la plus dure. Le gouvernement auquel il appartient multiplie les projets de loi sécuritaires et liberticides, alors que le coronavirus continue de faire des ravages et que la misère explose dans le pays. Cette mascarade et les mascarons présidentiels de cette dangereuse époque sont porteurs d’une salutaire Apocalypse.

Ô la belle maxime ! « Garder la mesure, observer la limite et suivre la nature. » Elle est de Lucain (Pharsale, II, 381), poète latin suicidé par Néron[1], à l’âge de vingt-cinq ans, en avril 65. Cette citation est la 34e des 57 sentences que Montaigne fit peindre sur les travées de sa « librairie » (bibliothèque) entre 1572 et 1580, aux lendemains de la Saint-Barthélemy[2], et dont il disait qu’elles sont des « préceptes qui réellement et plus jointement servent à la vie ».

Écrivant pour Limite, me voici avec ma triple devise du jour.

« Suivre la nature ! » ; cela va tellement de soi pour le naturaliste que je suis depuis l’enfance, qu’il ne m’est pas besoin d’argumenter.

« Garder la mesure ! » ; mais bien sûr, et avec justesse évidemment, sans se laisser aller à l’exagération, la caricature, voire l’outrance outrageante… Mais ne pas minimiser, tempérer, édulcorer pour autant, car bonne mesure n’est ni plus et ni moins que l’étendue entière du phénomène. Avec justesse, faire justice…

« Observer la limite ! » ; plus que jamais la scruter comme la surface de l’eau qui bout, l’horizon de la mer dans la tempête, le rempart du château en flammes… Comme la limite à ne pas dépasser.

Mais au fait, la limite n’est-elle pas déjà dépassée ? Telle est la question, si l’on se libère de l’aveuglement et de la servitude volontaires. Car, suivant la leçon de la nature et gardant la mesure, je soutiens aujourd’hui que le régime de Macron a franchi la limite qui sépare État de droit et État policier, démocratie et despotisme, libéralisme (au sens de Montesquieu ou de Raymond Aron et non pas de Mandeville ou de Friedrich Hayek) et totalitarisme. Je vois et j’entends aussi, comme tout citoyen sincère, que la communication et les actes du gouvernement de son Premier ministre font concurrence de coups de menton avec l’extrême droite française issue de la tradition fasciste.

Le 11 février dernier, sur le plateau de France 2, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, par ailleurs témoin assisté dans le cadre d’une information judiciaire portant sur des accusations de viol, d’harcèlement sexuel et d’abus de confiance[3], s’est ainsi livré à une surenchère islamophobe vis-à-vis de Marine Le Pen, laquelle a d’ailleurs reconnu qu’elle « aurait pu signer » le brûlot du « fils spirituel » de Nicolas Sarkozy (dixit Valeurs actuelles)[4], tout juste paru sous un titre limpide, Le Séparatisme islamiste. Au point que la présidente du Rassemblement national (RN) a elle-même souligné l’amalgame du ministre (et de son projet de loi alors débattu à l’Assemblée[5]) : « Vous vous êtes attaqué à toutes les religions, alors que c’est un problème d’idéologie. Il fallait s’attaquer exclusivement à l’islamisme. » A l’islamisme, pas à l’islam

Ce comble du faux débat a déclenché un renversement des fronts particulièrement significatif : « Je suis plus dur que vous », a assumé Gérald Darmanin, jugeant son interlocutrice « un peu branlante, molle », et ajoutant même : « Mme Le Pen en vient à être quasiment un peu dans la mollesse, il faut reprendre des vitamines. (…) Vous êtes prête à ne pas légiférer sur les cultes et vous dites que l’islam n’est même pas un problème. » Ce qui a suscité une réponse paradoxale, mais autrement plus digne, de la prise à parti : « Je n’entends pas m’attaquer à l’islam, qui est une religion comme une autre et [pour laquelle], parce que je suis profondément attachée à nos valeurs françaises, je souhaite conserver sa liberté totale d’organisation et la liberté totale de culte. »

Ainsi s’affirme le dépassement à droite du pétainisme, orchestré par Emmanuel Macron et ses valets ou serviteurs à gages, dans une stratégie électorale apocalyptique (présidentielle de 2022). Car, au-delà des mots, pourtant terribles, les violences de l’État français, depuis le commencement du mouvement des Gilets jaunes (novembre 2018), ainsi que la frénésie de lois liberticides du gouvernement n’ont d’égal que son incurie à nous protéger d’un coronavirus qui a fait, en un an, bien plus de 95 000 morts[6]. Mais j’ai déjà pointé dans ces colonnes la dérive illibérale du Château[7].

En vérité, notre situation politique est devenue si grave, si dangereuse, que nos meilleurs philosophes ne s’abstiennent plus de descendre dans l’arène. Plutôt que de dresser ici l’inventaire désormais pléthorique des flagrants délits de haine de la démocratie du régime de Macron, ce que font avec persévérance et courage de la vérité certains journalistes (Mediapart, Reporterre, Libération, Le Vent se lève, Basta !, Fakir…), je souhaite porter les voix de Barbara Stiegler qui a démasqué en toute rigueur scientifique « ce monde de Pandémie, où le pouvoir élimine la démocratie en soumettant la science à son propre agenda »[8], ou celle, tout aussi élevée et profonde, de Myriam Revault d’Allonnes, quand elle révèle le « dévoiement » du macronisme, un des masques actuels du néolibéralisme, parce qu’il défigure l’autonomie, ce projet fondamental des Lumières, en pur individualisme entrepreneurial, « atomistique », du self-made man.[9]

De masques en démasquages, passons enfin de la mascarade macroniste au mascaron de Macron. Enfin, à l’un de ses mascarons, puisque Jean-Luc Nancy, pour qui « la démocratie est d’abord une métaphysique »[10], en décrypte vingt-deux[11]. Un mascaron*, nous rappelle le philosophe, dans son dernier livre jubilatoire, « est une figure sculptée en bas-relief ou en ronde-bosse », ce qui en fait presque le contraire du masque qui « dissimule et affiche autre chose que ce qu’il recouvre ». Il note, cependant, qu’il arrive que le masque « ne fasse comprendre que rien n’est caché qu’une absence ». Surtout quand il est brodé d’un crocodile vert…

Le dernier des mascarons de Macron a un nom ésotérique : « 5GCODIV196 ». Il est, d’ailleurs, une « infigurable figure », car il s’agit en fait « du nouveau chiffre de la Bête de l’Apocalypse ». Rien que ça ! Tout l’ouvrage de Jean-Luc Nancy démasque clairement cette Apocalypse qui est l’Anthropocène du capitalisme, aggravée par la folie néolibérale (« marché, progrès, transhumanisme, cocaïne »), et l’Algorithme de « la techno-économie » à laquelle les Gilets jaunes ont opposé une résistance brisée, pour l’instant, par des violences policières extrêmes.

Mais, comme dans l’Apocalypse (de Jean), la Bête connaîtra immanquablement un funeste destin. Car, l’ère de la souveraineté royale ou impériale est révolue, et celle du tout-un-chacun est advenue, par une soif mystique de démocratie, sans doute, et malgré la bunkérisation sécuritaire de l’État et des princes du Capital. Jean-Luc Nancy prophétise ainsi que « le très vieux centralisme français se fissure de partout » et que « ces fissures fendillent le frêle mascaron de plâtre nommé Macron ». Juste avant qu’il ne tombe sur le sol en marbre de l’Élysée et n’explose en mille et un fragments d’un funeste lustre.

« Mais, à part ça, Madame la Marquise

Tout va très bien, tout va très bien

(…) sauf qu’le château était en flammes. »

Paris, le 16 mars 2021

A paraître vers le 15 avril dans le n° 22 de la revue Limite.

 * « Mascaron », selon le CNRTL : « Motif ornemental constitué d’une figure grotesque ou fantastique en ronde-bosse ou en bas-relief, décorant p. ex. les clefs d’arcs, les chapiteaux, les entablements, les orifices de fontaine. »

Post-scriptum

Le samedi 20 mars, la journaliste Sarah Benichou relaie sur Twitter des photos de passages antisémites du livre du ministre de l’Intérieur Le séparatisme islamiste – Manifeste pour la laïcité paru en février aux éditions de l’Observatoire. On peut effectivement y lire que « Napoléon […] s’intéressa à régler les difficultés touchant à la présence de dizaine de milliers de Juifs en France. Certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réclamations ».

Le sujet a été rigoureusement analysé par Antoine Perraud (Mediapart) : « D’où le haut-le-cœur intellectuel, moral et politique d’avoir à constater, en 2021, à quel point Gérald Darmanin reprend à son compte l’antijudaïsme impérial et ses clichés ; calquant sur les Français musulmans d’aujourd’hui les mêmes ignorances ou préventions haineuses dont faisait montre, voilà deux siècles, Napoléon au sujet des Juifs de France. » Et clairement relevé par Edwy Plenel.

Le jeudi 25 mars, un groupe de militants du mouvement d’extrême droite Action française a tenté de pénétrer dans l’hémicycle du conseil régional d’Occitanie, en portant une banderole où était écrit : « Islamo-gauchistes traîtres à la nation. ». Et en hurlant quelques slogans comme « Action française ! » et « Mort aux islamo-gauchistes ! ». A ce jour, le 30 mars, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et ancien militant de l’Action française, n’a toujours pas condamné l’action du groupuscule royaliste…

Notes

[1] A titre anecdotique, je me souviens que Michel Onfray affirmait, le 11 janvier 2019, sur les ondes de RMC : « On a le président qu’on a qui est l’équivalent de Caligula ou Néron. » Et persévérait sur son blog (semaine du 19 mars 2019).

[2] « Servare modum, finemque tenere, / Naturamque sequi. », dans Montaigne, Œuvres complètes, Gallimard, coll. de la Pléiade, 1962, p. 1423.

[3] Antton Rouget et Marine Turchi, « Enquête pour viol : Gérald Darmanin face à ses contradictions », Mediapart, 26 janvier 2021 ; mêmes auteurs « Affaire Darmanin: deux dossiers aux nombreuses similitudes », Mediapart, 28 janvier 2021.

[4] https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/gerald-darmanin-le-fils-spirituel-et-politique-de-nicolas-sarkozy-121796. Alors que Nicolas Sarkozy devenait, lundi 1er mars 2021, le premier ancien président de la Ve République condamné à de la prison ferme pour corruption et trafic d’influence, Gérald Darmanin a exprimé immédiatement « l’affection, le respect » qu’il a pour celui qui a été, selon lui, « un grand président de la République » et « qui en ces temps difficile a évidemment (s)on soutien amical ». « Je n’oublie pas tout ce qu’il a apporté à notre pays », a même ajouté le ministre de l’Intérieur, depuis Marseille, où il était en déplacement officiel.

[5] https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/separatisme-les-mots-les-actes-et-la-loi

[6] 95667 morts au 31 mars, selon Santé publique France. François Bonnet, « Une année de Covid-19 : les sept erreurs du pouvoir », Mediapart, 10 mars 2021.

[7] « Vous avez dit ’’illibéral’’ ? », Limite n° 21, janvier 2021, p. 6 et 7.

[8] Barbara Stiegler, La Démocratie en pandémie ; Santé, recherche, éducation, Gallimard, coll. Tracts, janvier 2021.

[9] Myriam Revault d’Allonnes, L’Esprit du macronisme ou l’art de dévoyer les concepts, Seuil, coll. La couleur des idées, 2021.

[10] Vérité de la démocratie, Galilée, 2008.

[11] Mascarons de Macron, Galilée, 2021.

Laisser un commentaire