Les lanceurs d’alerte

Pour un journaliste, pas d’information, pas d’enquête, pas de raison d’être de son métier, s’il ne rencontre pas des “sources”. Joli mot !, qui évoque autant le lieu enchanté d’où jaillit l’eau qui a couru longuement sous terre que le point d’où rayonne la lumière, le foyer qui diffuse son énergie. La source nous conduit aussi aux questions, presque métaphysiques, de l’origine et du principe de toutes choses, de toute quête, de toute vérité.
Dans le journalisme, comme dans le renseignement, il y a les sources “ouvertes” (ce magma de documentation produit, chaque jour, par la communication) et les sources “confidentielles” – des personnes humaines – qu’il faut protéger en faisant valoir, si nécessaire, la règle (légalement fragile) du secret professionnel. Mais dans le journalisme, en contradiction avec les mœurs du renseignement, la notion de “protection” de ses sources comprend, si possible, celles de confiance et de respect, deux façons d’être qui nécessitent réciprocité et mutualité.

LANCEURS D’ALERTE -1 – Stéphanie Gibaud / UBS

  • Mediapart, le 6 févr. 2014
  • Antoine Peillon

Stéphanie Gibaud, ex-responsable des relations publiques d’UBS France

« Grâce à nous, une enquête judiciaire a enfin été ouverte. »

Stéphanie Gibaud est embauchée en 1999 chez UBS (Union des banques suisses). Elle y organise des événements sportifs, artistiques et mondains à l’attention de très riches clients français ou de ceux qui pourraient le devenir. En juin 2008, sa supérieure hiérarchique exige qu’elle efface de son disque dur tous les fichiers contenant le nom des clients et de leur chargé d’affaires. Stéphanie Gibaud refuse d’exécuter cet ordre. Dès lors, elle se rend compte qu’UBS organise, en toute illégalité, l’évasion fiscale de nombreux Français fortunés vers la Suisse. Dès lors, aussi, elle subit un harcèlement impitoyable. Autant de délits qu’elle participe de révéler aux autorités judiciaires et à la presse, un acte de résistance qui sera, pour une part importante, à l’origine de « l’affaire UBS ».

Quel a été le déclencheur de votre dénonciation des délits commis par UBS ?

S. G. : Le jour où l’on m’a demandé, en juin 2008, dans la panique, de détruire tous les fichiers commerciaux de mon disque dur, je n’ai pas compris ce que l’on me demandait.  Mais comme il y a eu une véritable insistance pour détruire mon outil de travail, je me suis mise à poser des questions à ma hiérarchie, questions qui n’ont trouvé des réponses qu’auprès de collègues qui avaient découvert l’organisation de l’évasion fiscale par la banque et qui commençaient à la dénoncer en interne. Lorsque j’ai compris que, depuis huit ans, on m’avait trompée, que l’on m’avait mise en risque judiciaire à mon insu, que j’étais finalement au milieu d’un hold-up qui me dépassait complètement, je me suis dit que je devais réagir et ne pas me laisser faire.

Quelles qualités particulières pensez-vous avoir mobilisées pour résister ?

S. G. : Je suis naturellement quelqu’un de curieux. Et je tiens à ma dignité. J’ai aussi une colonne vertébrale : j’ai des valeurs, une éducation, des parents cultivés, au fait de l’actualité, avec lesquels je peux parler. J’ai aussi une personnalité relativement forte, ce qui m’a permis de me battre.

Aujourd’hui, considérez-vous que votre combat fut utile ?

S. G. : Absolument ! Oui, puisque grâce à nous – je pense à la poignée de collègues qui a agit avec moi –, une enquête judiciaire a enfin été ouverte, puisque UBS France et certains de ses plus hauts dirigeants ont été mis en examen, puisque l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) a déjà sanctionné la banque… A ma grande surprise, j’ai aussi été très sérieusement écoutée par des parlementaires, le sénateur Eric Bocquet et le député Yann Galut, en 2012 et en 2013.

Quel prix avez-vous payé ?

S. G. : Ce fut très destructeur pour ma vie personnelle, mais aussi très intéressant. J’en ai plus appris en six ans que lors de toute ma vie précédente. J’ai rencontré des personnes qui sont aussi des citoyens, qui ont les mêmes valeurs que les miennes et avec lesquelles j’ai mesuré l’importance de la solidarité. Tout ceci, aujourd’hui, ça me donne la petite lumière que je vois au bout du tunnel, lumière que je ne voyais plus depuis longtemps. Nous vivons au pays des droits de l’homme et du citoyen. Nous avons de quoi faire respecter notre dignité.

Recueilli par Antoine Peillon

Une source peut enfanter un grand fleuve

par Antoine Peillon

Postface à La Femme qui en savait vraiment trop

Pour un journaliste, pas d’information, pas d’enquête, pas de raison d’être de son métier, s’il ne rencontre pas des « sources ». Joli mot !, qui évoque autant le lieu enchanté d’où jaillit l’eau qui a couru longuement sous terre que le point d’où rayonne la lumière, le foyer qui diffuse son énergie. La source nous conduit aussi aux questions, presque métaphysiques, de l’origine et du principe de toutes choses, de toute quête, de toute vérité.

Dans le journalisme, comme dans le renseignement, il y a les sources « ouvertes » (ce magma de documentation produit, chaque jour, par la communication) et les sources « confidentielles » – des personnes humaines – qu’il faut protéger en faisant valoir, si nécessaire, la règle (légalement fragile) du secret professionnel. Mais dans le journalisme, en contradiction avec les mœurs du renseignement, la notion de « protection » de ses sources comprend, si possible, celles de confiance et de respect, deux façons d’être qui nécessitent réciprocité et mutualité.

Dans son magistral petit livre La Sagesse de l’espion[1], Alain Chouet – grand professionnel de la DGSE – avait l’honnêteté intellectuelle d’écrire : « Quand il approche, recrute ou manipule une source humaine, l’officier de renseignement (…) réifie la personne sujette à traitement et vouée ainsi au statut d’objet utilitaire. (…) L’officier de renseignement traite sa source comme l’éleveur traite son bétail, l’horticulteur traite ses arbres ou le vigneron traite ses ceps. Il en prend le plus grand soin pour en tirer le meilleur. » De leur côté, les journalistes n’ont cessé de peaufiner, depuis 1918, leur charte déontologique. Dans sa dernière mouture, rédigée en 2011[2], il est heureux de lire qu’« un journaliste digne de ce nom (…) garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations », de même qu’« il respecte la dignité des personnes ».

Dignité… C’est bien ici, au carrefour en forme d’upsilon pythagoricien, que bifurquent les voies de l’espion et du journaliste. Et c’est ici encore que se rencontrent des « sources » comme Stéphanie Gibaud, dignes de respect et de confiance. Lorsque nous nous sommes vus pour la première fois, au début de l’automne 2011, la jeune femme m’a semblée meurtrie, inquiète, parfois même désorientée. Elle venait de subir des années de harcèlement par certains dirigeants de la banque UBS France, dont l’objectif était purement et simplement de la contraindre au silence, voire même à l’aveuglement volontaire, sous les menaces conjuguées du licenciement, de l’isolement, de la dé-crédibilisation professionnelle, de la plainte judiciaire…, en résumé de l’atteinte la plus profonde à sa dignité.

Erreur fondamentale !, et dans laquelle persévèrent les puissants, les prédateurs de notre monde. Puissants dont la densité relève désormais de la saturation dans les états-majors des grands groupes bancaires et les administrations centrales sensibles, dans les cabinets de certains ministères ; prédateurs liés (j’en ai, entre autres, accumulé les preuves) par le pacte mafieux et anti-démocratiques de la corruption. Car à s’attaquer à la dignité de personnes tout simplement honnêtes (l’immense majorité de nos concitoyens), les idolâtres du Veau d’or, de « l’argent sans foi ni loi », les violents et les sécessionnistes du « temps des riches »[3] déclenchent la révolte des asservis, la rébellion des assujettis, lesquels se transforment un jour, de plus en plus souvent, en « sources », voire en « lanceurs d’alerte ».

Lors de mon enquête sur l’organisation industrielle de l’évasion fiscale par le groupe bancaire suisse UBS, en France, et durant les premières semaines qui ont suivi la publication de mon livre[4], l’identité de Stéphanie Gibaud devait rester un secret entre elle et moi, comme pour Nicolas Forissier et tant d’autres qui sont enfin sortis de l’anonymat. Il en allait sans doute – nous en avons ensemble jugé ainsi – de sa sécurité. Ce qui n’était plus secret, en revanche, et pour beaucoup grâce aux informations et documents qu’elle m’a donné à connaître, c’était l’aspect systématique, méthodique, organisé, massif de la fraude fiscale dont « sa » banque vivait principalement.

Grâce au courage de Stéphanie Gibaud, comme de celui de tous ces « héros ordinaires » – pas si ordinaires ! – qui furent heureusement salués par une très grande juge d’instruction[5], l’évasion fiscale est devenue, depuis le printemps 2012, un sujet majeur et constant de l’actualité économique et politique de notre pays. A la suite de la publication de la première édition de mon livre, en mars 2012[6], une information judiciaire a enfin été confiée à deux juges d’instruction parmi les plus expérimentés du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris. Des enquêtes parlementaires se sont succédées à un rythme soutenu, au Sénat et à l’Assemblée nationale. Un rapport de la Cour des comptes a mis en cause les dysfonctionnements de l’Etat qui fait preuve, jusqu’à maintenant, d’une impuissance suspecte dans la répression de la fraude fiscale. Une proposition de loi, puis un projet de loi ont été débattus intensément au Parlement, portés premièrement par Yann Galut, un député d’une rigueur et d’une bravoure remarquables[7]…

Voici donc l’occasion de faire un premier bilan des conséquences de la divulgation de l’évasion fiscale organisée par UBS en France, grâce à Stéphanie Gibaud et à une poignée de ses collègues, autant que grâce aux policiers, douaniers et magistrats qui furent aussi des sources de premières importances. Le 24 juillet 2012, la Commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale publiait son premier rapport. Le rapporteur, le sénateur du Nord Eric Bocquet, témoignait trois jours plus tôt : « Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les sommes que représente l’évasion fiscale. Selon les estimations, ce sont entre 40 et 50 milliards qui manqueraient au budget annuel de l’Etat. Sur un budget total de 275 milliards d’euros, ce ne sont pas des sommes négligeables. » Depuis, les estimations de l’évasion fiscale annuelle subie par notre pays convergent plutôt vers les 80 milliards d’euros !

En cet automne 2013, alors que j’écris ces lignes, la justice avance à pas de géant dans l’élucidation d’un système de corruption et de dissimulation généralisé qui coûte une vingtaine de milliards d’euros[8], chaque année, aux seules finances publiques de notre pays ! L’affaire Cahuzac est loin d’avoir révélé toutes ses dimensions, l’information judiciaire des juges Van Ruymbeke et Le Loire – étant en cours. Le 23 avril 2013, l’ouverture d’une autre information judiciaire (encore Van Ruymbeke !) pour « démarchages bancaires ou financiers illicites et complicité de ce délit, blanchiment en bande organisée de fonds obtenus à l’aide de démarchage bancaire ou financier illicite et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale », dans le cadre de l’affaire des fichiers volés de la banque HSBC, me fait penser que plus rien n’arrêtera la justice sur le front de l’évasion fiscale.

Le mérite en revient bien, premièrement, à toutes ces sources – financiers, cadres de banques, policiers, magistrats – qui ont décidé de briser l’omerta fatale qui les étouffaient jusqu’à ce que je les rencontre lors de mon enquête sur UBS, en 2011 et en 2012. Tous ont pris un jour, ou lors d’une nuit d’insomnie, une décision courageuse, parfois dangereuse, qui fait qu’ils sont par excellence ces « héros » dont Eva Joly a écrit que, « parce qu’ils se sont opposés au pouvoir, leur vie est devenue un roman noir ». Puissent, au moins, leurs vies exemplaires être, pour eux-mêmes d’abord, pour Stéphanie Gibaud en particulier, motif de fierté. Puissent-ils, grâce à la reconnaissance de leur courage par le public, retrouver leur dignité !


[1] L’œil neuf éditions, 2010

[2] « Charte d’éthique professionnelle des journalistes », proposée par le Syndicat national des journaliste (SNJ).

[3] Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, L’Argent sans foi ni loi, Textuel, 2012 ; des mêmes sociologues : La Violence des riches, Zones, 2013 ; Thierry Pech, Le Temps des riches, Seuil, 2011.

[4] Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, Enquête au cœur de l’évasion fiscale, Seuil, 2012.

[5] Eva Joly, avec Maria Malagardis, Des héros ordinaires, Les Arènes, 2009.

[6] Une édition en format de poche, en collection Points (éditions du Seuil), est parue en novembre 2012.

[7] Yann Galut, Le Pillage de l’Etat, Un député sur la piste des évadés fiscaux, Flammarion, 2013.

[8] En France, la seule fraude imputable à l’évasion fiscale représenterait une perte de recettes publiques de 17 milliards par an, estime Gabriel Zucman, auteur du définitif La Richesse cachée des nations, Enquête sur les paradis fiscaux, Seuil, collection La République des idées, 2013.

LANCEURS D’ALERTE – 2 – Olivier Thérondel / TRACFIN

  • Mediapart, le 6 févr. 2014
  • Antoine Peillon

·  Olivier Thérondel, ex-agent de Tracfin

« Si un juge d’instruction vient faire une perquisition à Tracfin, il ne trouvera rien. »

Ce douanier a travaillé au service anti-blanchiment « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (Tracfin) de 2004 à 2013. La direction de Tracfin a porté plainte contre lui pour avoir publié fin avril 2013 deux billets sur son blog hébergé par le site d’information Mediapart, sous les titres « Black-out sur les rapatriements de Cahuzac » et « L’affaire Cahuzac embarrasse Tracfin ». Son procès aura lieu au Tribunal correctionnel de Paris (XVIIe Chambre) le 21 mars 2014. Il témoigne ici de ce dont il a été le témoin et de ce qu’il a vécu depuis qu’il a porté certains faits qu’il estime irréguliers à la connaissance du public.

Quel était votre fonction à Tracfin et que s’y est-il passé lors de l’affaire Cahuzac ?

O. T. : J’étais à la cellule d’intégration des déclarations de soupçons. Pendant la période de l’affaire Cahuzac, tout le monde y était assez chamboulé. Le 19 mars 2013, notre ministre de tutelle démissionne, le 2 avril il avoue qu’il a menti et qu’il avait un compte en Suisse et à Singapour. Deux jours après, le 4 avril au soir, alors que j’allais quitter mon travail, une chef de la division de l’orientation et de la valorisation de l’information (Dovi), Béatrice C., vient me voir pour me demander si je peux rester un peu plus longtemps, en attente d’un fax urgent, lequel n’est finalement pas arrivé ce soir-là. J’ai alors aussitôt senti qu’il y avait quelque chose d’hystérisant pour le service dans ce qui lui avait visiblement été annoncé. Le lendemain, vers 17 heures, dans le flot des déclarations de soupçon je vois un signalement aux noms de Jérôme Cahuzac et de Patricia Ménard, épouse Cahuzac, qui indique que des rapatriements en provenance du compte bancaire (banque Julius Baer) d’une société offshore vont arriver en France, sur les comptes du couple dans une banque française. Pour moi, comme Jérôme Cahuzac avait dit, le 2 avril, qu’il allait régulariser sa situation, ce signalement me paraissait logique. Je traite donc le dossier, je préviens donc ma hiérarchie, par devoir, sans inquiétude particulière.

Jusque-là, rien de grave…

O. T. : En fait, ce qui se passe, c’est que deux jours après, mon chef vient me voir et m’affirme : « Le directeur a dit qu’il ne faut pas enrichir les déclarations (de soupçons) sur Cahuzac. » Or j’avais déjà ajouté deux personnes au dossier de renseignement ouvert à son nom, lesquelles présentaient chacune un lien financier important avec Jérôme Cahuzac. Ces ajouts étaient parfaitement pertinents étant donné le contexte et les sommes en jeu. Cette procédure d’enrichissement, dans ce genre de situation, est quelque chose que je faisais tous les jours, que l’on ne m’a jamais reproché et qui permet de faire le lien avec d’autres dossiers. Dès lors, je trouve un peu troublant que l’on me demande de ne pas le faire sur le dossier Cahuzac. En conséquence, je demande si je peux avoir un ordre écrit. Mon chef me répond qu’il n’y aura pas d’ordre écrit. Et il n’y en a jamais eu… Ce que je remarque aussi, c’est que lorsque les compléments des déclarations sur Cahuzac continuent d’arriver, compléments qui –selon mes collègues – correspondent à des virements fractionnés, à chaque fois mon chef vient s’assurer que je ne puisse pas voir ces nouvelles déclarations. Ce qui est évidemment assez vexant. D’autant que le même chef vient me demander, en plus, si dans la masse des déclarations il y a possibilité de voir sur qui porte la déclaration…

Pourquoi une telle méfiance vis-à-vis de vous ?

O. T. : Tout ça parce que j’ai demandé un ordre écrit de ne pas enrichir le dossier de signalements des mouvements financiers effectués entre Singapour et Paris au nom de Cahuzac. Je me rends compte aussi, à partir de ce moment-là, qu’à chaque fois qu’une nouvelle déclaration concernant Jérôme Cahuzac arrive, le nom est informatiquement anonymisé, ce qui crée d’ailleurs des doublons dans la base de données de Tracfin, doublons que je fusionne, car cela fait partie de ma mission, ce qui rend l’informaticien du service extrêmement nerveux, d’autant qu’on lui demande de bidouiller les fichiers, sans ordre écrit. C’est pourquoi de nombreuses interventions dans la base de données du service ne portent pas la trace du fonctionnaire qui a réalisé ces interventions. En place du nom de l’agent, on lit celui du système d’information lui-même, soit « startrac »… A ce sujet, on me demande encore de ne plus faire de fusions des doublons. Je redemande un ordre écrit. Mon chef me prend à part et me signifie que je vais avoir des problèmes. Je trouve ça extrêmement glauque.

L’ambiance continue-t-elle de s’alourdir ?

O. T. : J’attends. Les jours passent. Je me rends compte de même que dix jours après mon traitement de la première déclaration du 5 avril, le dossier Cahuzac est toujours en stand-by, alors qu’en temps normal un dossier de ce type est orienté vers l’enquête en une journée, voire même dans le quart d’heure. J’ai progressivement l’impression qu’il y a une sorte de conspiration du silence, que le dossier Cahuzac n’est pas traité normalement. Entretemps, je me suis abonné à Mediapart, pour lire les articles sur Cahuzac. Je vois bien qu’il y a un doute sur le rôle ambigu qu’a joué l’Administration dans toute l’histoire, ce qui justifiera d’ailleurs la création d’une commission d’enquête parlementaire. Le 22 avril, découvrant que je peux créer un blog sur Mediapart, je rédige un premier billet racontant l’essentiel de ce dont je suis le témoin, en veillant toujours à ne rien divulguer qui ne soit déjà publié par la presse : nom de la société offshore qui détient un compte chez Julius Baer à Singapour, ou nom de la banque française qui reçoit les fonds, ou montant des transferts… Je mets plutôt l’accent sur les freins à l’action de Tracfin et sur des questions que je me pose toujours.

Avez-vous mesuré l’importance de ce que vous faites alors ?

O. T. : Mes sentiments, à l’époque, sont mélangés. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de très opaque, que l’on organise un blackout sur ce rapatriement de fonds par Jérôme Cahuzac, alors que l’on parle au même moment de faire la clarté sur la vie politique. La première chose que fait alors le directeur du service anti-blanchiment de la République, c’est de faire disparaître toute trace : non seulement les fiches de déclarations sont anonymisées, mais tout leur contenu informatif est effacé, systématiquement. Cela me choque. Je me dis : si un juge d’instruction vient faire une perquisition à Tracfin, il ne trouvera rien. Pourquoi le directeur de Tracfin fait-il ça ? Pourquoi m’a-t-on reproché d’avoir ajouté deux noms dans l’enrichissement du dossier de renseignement ouvert sur Cahuzac ? Pourquoi des ordres de manipulations sont-ils émis sans aucun écrit ? J’en suis arrivé à un état d’angoisse en me demandant : qui est l’homme qui dirige Tracfin, quelle est vraiment la nature de sa mission ?

Regrettez-vous, aujourd’hui, votre alerte ?

O. T. : Ce que j’ai fait, c’est-à-dire tirer la sonnette d’alarme, n’a pas fonctionné. Lorsque j’ai créé mon blog, c’était pour me libérer. Cela m’a fait du bien ce soir-là. Je vais très certainement le payer très cher durant toute ma carrière, mais au moins je me suis senti propre ce soir-là. C’était une question de conscience. Ce n’est pas moi que je veux pouvoir regarder en face dans le miroir. Ce sont tous mes concitoyens à qui on a menti par omission. Comment accepter que l’on garde secret pendant deux mois le mouvement de rapatriement des fonds non-déclarés de Jérôme Cahuzac. Aujourd’hui, ma vie est suspendue au résultat du procès qui m’est fait pour violation du secret professionnel, car si je suis condamné, je ne pourrai plus être fonctionnaire. Je me demande si mon destin n’est pas scellé. A titre personnel, je regrette d’avoir lancé cette alerte, car cela a entraîné un bouleversement de ma vie privée et m’a contraint à prendre des médicaments anxiolytiques. En revanche, cela m’a permis de rencontrer des gens formidables, dont des journalistes et d’autres lanceurs d’alerte. J’ai vu que tous le paient cher, généralement. Entre les déboires que vivent les lanceurs d’alerte et le plaisir qu’ils ont à faire sortir la vérité du puits, c’est dur de savoir ce qui l’emporte, finalement.

Recueilli par Antoine Peillon

LANCEURS D’ALERTE – 3 – Florence Hartmann, mauvaise conscience de nos démocraties

  • Mediapart, le 6 févr. 2014
  • Antoine Peillon

·  Florence Hartmann, auteure (1)

« Les lanceurs d’alerte prennent au sérieux la promesse de la démocratie »

Journaliste pendant onze ans au journal Le Monde, Florence Hartmann a couvert notamment les conflits en ex-Yougoslavie. Elle publie aujourd’hui Lanceurs d’alerte, Les mauvaises consciences de nos démocraties, aux éditions Don Quichotte, livre dans lequel elle dresse les portraits très vivants de personnes ayant dénoncé crimes ou délits, et analyse en quoi les lanceurs d’alerte sont la dernière chance d’un contrôle démocratique du pouvoir lorsque celui-ci dégénère en abus de pouvoir.

Quel est le motif commun – s’il y en a un – des lanceurs d’alerte ?

F. H. : Ils sont tous différents. Chaque cas de figure est particulier. Mais le point commun des lanceurs d’alerte, comme mouvement intérieur, c’est qu’en tant qu’individus et citoyens vivant dans des démocraties ils sont, à un moment donné, conscients qu’il y a un dysfonctionnement. Ils passent tous par ce déchirement entre leur loyauté à leur entreprise ou leur administration, à leur hiérarchie, et le devoir d’informer le public. Ce sont en fait de très bons ‘’produits’’ de la démocratie, de bons citoyens, vigilants, qui réagissent de façon totalement légitime en se posant des questions du genre : est-ce que c’est normal que l’on torture, est-ce que c’est normal qu’on mente, que l’on rejette sans précaution des déchets dangereux, qu’un laboratoire pharmaceutique ne s’inquiète pas des effets secondaires de ses médicaments… Ils deviennent lanceurs d’alerte lorsqu’ils décident, avec un certain courage, de franchir le pas de l’information du public. Ce ne sont pas forcément des gens qui ont été courageux depuis toujours, qui ont toujours été vigilants, qui ont un positionnement politique déterminé.

Ils ne sont pas seulement motivés par des réflexes humains ; ils ont aussi un ressort civique ?

F. H. : Oui, je pense. Les réflexes humains – et je connais la question, dans des situations extrêmes -, c’est d’abord l’autodéfense. Les lanceurs d’alerte prennent au sérieux la promesse de la démocratie, ils y croient. Ce ne sont pas du tout des dissidents, des antisystèmes, des révolutionnaires. Il y a très facilement, je le vois dans les questions des journalistes, le soupçon qu’ils sont des antisystèmes, ce qui est faux. Ce distinguo est très important. Les lanceurs d’alerte font même souvent pétition de défendre la démocratie telle qu’instituée par la loi, l’état de droit. Ils arrivent souvent parce que de trop nombreux dispositifs démocratiques n’ont pas fonctionné.

Pourquoi une telle méfiance banale vis-à-vis de ces personnes ?

F. H. : Ils ne sont pas bien compris et leurs actions sont l’objet, souvent, d’un débat public caricatural. Celles-ci ne font certes pas plaisir aux entreprises ou aux institutions dont les dysfonctionnements sont dénoncés. Ces pouvoirs réagissent par une communication brutale et par des procédures judiciaires qui permettent de masquer leurs propres délits par la plainte contre les délits des lanceurs d’alerte : violation du devoir de réserve, ou du secret professionnel, ou du secret Défense, secret ceci, secret cela… En réalité, le débat n’existe que si l’on met dans la balance de la justice les délits de l’une et de l’autre partie. Cela, le public le comprend aujourd’hui, même si cela prend un certain temps, comme on l’a vu avec l’évolution de l’opinion publique américaine vis-à-vis d’Edward Snowden, qui a dénoncé les programmes illégaux de surveillance de masse de la NSA. Au départ, l’idée qu’il n’était qu’un ‘’traitre’’ qui mettait en danger la sécurité nationale, propagée par les autorités, a prévalu ; mais ensuite, lorsque l’opinion publique dispose de plus d’éléments d’information sur ce qui est révélé par Snowden, elle change. On oublie trop souvent qu’en démocratie c’est la transparence qui est la règle et que le secret ne doit être qu’une exception. Le secret doit être un droit réglementé et limité.

L’intérêt collectif serait le juge, in fine ?

F. H. : Oui, absolument. Ce n’est pas forcément répressif et scandaleux, du point de vue de la démocratie, d’avoir un lanceur d’alerte convoqué au tribunal. A la condition que le tribunal mette dans la balance les actes des lanceurs d’alertes et aussi ceux qu’ils dénoncent. Si l’on ne juge que la violation de la confidentialité ou du secret, cela n’a aucun intérêt pour la démocratie. Cette disproportion, malheureusement courante, met l’état de droit en question.

Les nouvelles lois françaises de 2013, qui instituent des protections juridiques des lanceurs d’alertes, sont-elles suffisantes ?

F. H. : Elles sont inopérantes. Nous avons tout d’abord un problème culturel, très européen, sur la notion de ‘’délation’’. Une confusion, en réalité, qui arrange tout le monde… C’est une arme systématiquement utilisée contre les lanceurs d’alerte. Quant aux nouvelles lois qui font des lanceurs d’alerte des auxiliaires des autorités publiques, elles ne portent que sur des champs réduits, notamment la fraude financière. En réalité, la législation déjà existante n’est pas appliquée. Je pense aux lois qui stipulent qu’un fonctionnaire n’a pas à exécuter des ordres illégaux, ou qu’il doit dénoncer à la justice tout délit ou crime dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions – le fameux article 40 du Code pénal –, qui ne sont pas mise en œuvre, qui restent lettre morte. Je pense aussi à un état d’esprit qui fait que la loyauté à la hiérarchie est plus importante que le respect de la loi. Nous sommes dans une situation de crise économique et sociale qui génère une tendance générale à l’apathie parce que l’on a peur de perdre son boulot.

Le dernier chapitre de votre livre est consacré à Olivier Thérondel, le lanceur d’alerte de Tracfin. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans son histoire ?

F. H. : Je voulais aussi montrer qu’un lanceur d’alerte, ce peut être chacun d’entre nous. Qu’il ne révèle pas forcément des faits d’importance planétaire, comme dans le cas de Snowden par exemple, mais que sa démarche est la même. Voir un modeste fonctionnaire demander un ordre écrit quand on lui dit de faire un acte qui n’est sans doute pas légal et voir, en conséquence, une machine qui se met en branle pour punir une personne qui a fait ce que n’importe qui devrait faire, cela m’a semblé être un cas de figure assez simple, sans doute commun en France, au XXIe siècle, d’un lanceur d’alerte qui se retrouve finalement seul au tribunal, avec à la clef une disproportion des moyens et donc des droits qui est choquante.

Recueilli par Antoine Peillon

(1)   Elle a publié Milosevic, la diagonale du fou, en 1999. De 2000 à 2006, elle fut la porte-parole et la conseillère Balkans du procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte, et elle fut également porte-parole du parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Elle a publié, en septembre 2007, Paix et châtiment, Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, où elle décrivait le fonctionnement du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ce qui lui a valu d’être inculpée pour « divulgation d’informations concernant des décisions confidentielles du TPIY » en 2008.

LANCEURS D’ALERTE – 4 – Olivier Thérondel / Tracfin (suite)

  • Mediapart, le 6 févr. 2014
  • Antoine Peillon

·  Un « dossier Cahuzac » a-t-il été dissimulé et vidé de son contenu à Tracfin ?

Ce que l’alerte d’Olivier Thérondel permet de révéler.

Selon des documents judiciaires que j’ai pu consulter, le traitement du dossier Cahuzac par Tracfin semble avoir suivi des voies complexes, à un rythme étrangement lent et qui évitent longtemps de croiser celle de l’information judiciaire menée depuis le 20 mars 2013 par les juges d’instruction du pôle financier du TGI de Paris, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire. Si le « comment » est aujourd’hui révélé, le « pourquoi ? » de ce dysfonctionnement reste à éclairer. Le prochain procès du lanceur d’alerte Olivier Thérondel, le 21 mars 2014, pour « violation du secret professionnel », sera-t-il l’occasion pour la justice de répondre à cette question ?

Le 11 juin 2013, Jean-Baptiste Carpentier, directeur de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), adresse une plainte contre X pour violation du secret professionnel au procureur de la République de Paris. Très vite, Marie-Eve F., commandante de police en fonction à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (direction régionale de la police judiciaire, à Paris), commence son enquête. Le 16 juillet, à 13h30, elle auditionne Charlotte C., conseillère juridique au sein de Tracfin. Le 4 septembre 2013, à 9h40, c’est au tour d’Olivier Thérondel d’être entendu par l’officier de police judiciaire. Enfin, deux jours plus tard, la commandante Marie-Eve F. adresse son « Rapport » – par voie hiérarchique – au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris.

Ayant pu lire l’ensemble des procès-verbaux, rapport et documents annexés, rédigés et rassemblés au cours de cette enquête judiciaire, je suis en mesure de confirmer et de préciser les affirmations et les questions troublantes exprimées par Olivier Thérondel lors de notre entretien. Ainsi, c’est bien le 4 avril 2013 qu’une déclaration de soupçon concernant Jérôme Cahuzac a été reçue par TRACFIN, via « le canal sécurisé ERMES et par mail sur la messagerie du secrétariat de direction » du service de renseignement, « transmise au département de l’analyse » et, dès le lendemain, à « la division de l’enrichissement et de la détection des fraudes (…), sous forme papier et sous forme informatique ». La déclaration de soupçon a été émise par un « professionnel (une banque parisienne dont je connais le nom) ayant reçu les fonds émanant de Singapour ». Elle était assortie d’une « demande d’entraide émanant de la cellule renseignement financier de Singapour », demande reçue le 9 avril par la division internationale de Tracfin. Jusque là, la procédure semble tout à fait normale.

Mais, dès lors, le traitement du dossier Cahuzac par Tracfin semble suivre des voies complexes, à un rythme étrangement lent et qui évitent longtemps de croiser celle de l’information judiciaire menée depuis le 20 mars 2013 par les juges d’instruction du pôle financier du TGI de Paris, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire. Ainsi :

  • Dès le 5 avril, à 17h52, le service informatique de Tracfin « a anonymisé le dossier de déclaration de soupçon », ce qui « consiste (selon la déposition de la conseillère juridique du service de renseignement) à enlever tous les éléments d’identité et de fonds du système informatique »[1]. Résultat, « à partir de cette date, les personnes qui ont accédé au dossier informatique n’ont eu accès qu’à son numéro ». De même, « le dossier de demande (d’entraide) de Singapour a été anonymisé dès le départ ». Il apparaît, lors de l’audition de Charlotte C., que « le process d’anonymisation a fait un peu de bruit sur le plan syndical », de même que « l’effacement de données du système informatique » y est confirmé ;
  • Lors de la même audition du 4 septembre 2013, la commandante de police judiciaire qui poursuit l’enquête note que ce n’est que le 15 avril, soit onze jours après la réception de la première déclaration de soupçon concernant le rapatriement de fonds non-déclarés de Jérôme Cahuzac, que la direction internationale de Tracfin « a sollicité des renseignement complémentaires et demandé si Tracfin pouvait communiquer ces informations à l’autorité judiciaire ».
  • En ce milieu du mois d’avril 2013, l’embarras, pour ne pas dire la confusion, semble régner au sein de la direction de Tracfin. En effet, le 16, suite à la double question de la division internationale quant à des renseignements complémentaires et aussi quant à une communication du dossier Cahuzac à « l’autorité judiciaire », la première « demande » de cette équipe de fonctionnaire « a été transmise (…) au département des enquêtes » du service de renseignement, mais rien n’est dit à propos d’une transmission des informations très importantes déjà récoltées aux juges. Une phrase de la déposition de Charlotte C. démontre que la direction de Tracfin mesurait parfaitement l’enjeu légal de ce point : « Ce temps (la grande dizaine de jours déjà écoulés depuis la première déclaration de soupçon) a été nécessaire pour nous assurer que nous pouvions enquêter dans la mesure où une information judiciaire était en cours »… En clair, cela signifie, sans doute, que la décision a alors été prise de conserver les informations de Tracfin hors de la connaissance des juges Van Ruymbeke et Le Loire.
  • En réponse à une question de la commandante de police judiciaire qui l’interroge sur l’exactitude des « informations divulguées » par Olivier Thérondel (encore non-identifié, alors), la conseillère juridique de Tracfin répond positivement, mais légèrement de biais : « Disons que la personne qui les a rédigé (sic) est interne à Tracfin… »

De fait, la crédibilité et la sincérité du témoignage du contrôleur des Douanes qui a travaillé à Tracfin entre 2004 et 2013 sont incontestables, ce qui apparaît clairement à la lecture des procès-verbaux et du rapport rédigés par la commandante Marie-Eve F. entre mi-juillet et début septembre 2013, l’officier de police judiciaire semblant d’ailleurs y accorder complètement crédit tout au long de son enquête.

Lors de sa propre audition, réalisée le 4 septembre 2013, Olivier Thérondel décrit très précisément comment il a constaté, en avril 2013, une véritable manipulation du « dossier » Cahuzac, lequel était alimenté à cette époque par de nombreuses déclarations de soupçon. Il raconte aussi comment il a été intimidé par sa hiérarchie qui constatait qu’il n’obéissait pas complètement à l’instruction de ne plus toucher au dossier de M. Cahuzac » parce qu’il n’obtenait pas « cette instruction par écrit ». La tension entre le fonctionnaire et son « chef », Stéphane D., est alors devenue telle que celui-ci a fini par se montrer menaçant. La déposition d’Olivier Thérondel, enregistrée par l’officier de police judiciaire qui l’interroge, en fait foi : « L’après-midi, mon chef m’a de nouveau demandé de ne plus m’occuper de ce dossier (…). Il m’a pris seul dans une salle de réunion. Il m’a dit ’’Fais gaffe à toi, ils sont en train de désintégrer tous les dossiers, c’est le problème du directeur, ne t’en mêle pas, tu vas t’attirer des emmerdes’’. »

A partir de ce moment, le soupçon d’Olivier Thérondel prend une forme de plus en plus nette. Le 4 septembre 2013, à propos de cette étrange période de la mi-avril 2013, il déclarera ainsi spontanément à la commandante Marie-Eve F. : « Les jours ont passé, il ne se passait rien (…) et je voyais que le dossier ne partait pas en enquête. Dans la base (de données), le dossier était toujours enregistré dans les dossiers ’’à examiner’’ alors qu’en deux jours les autres dossiers sont orientés. (…) Il était (pourtant) assez simple pour Tracfin de faire un signalement au Parquet (procureur de la République). J’ai eu le sentiment qu’il y avait une volonté d’étouffer cette affaire. »

Le 22 avril 2103, Olivier Thérondel révèle sur un blog ouvert sous la bannière de Mediapart « les rapatriements de fonds (encore secrets, donc susceptibles d’être l’objet d’un blanchiment) par M. Cahuzac ». De ce jour, le fonctionnaire entre dans la spirale dangereuse de l’« alerte ». « Mon but était de faire pression pour que le dossier soit adressé au Pôle financier (c’est-à-dire aux juges d’instruction Van Ruymbeke et Le Loire) », affirme-t-il à l’enquêtrice de la police judiciaire. Avant de préciser : « Je ne me suis fait aucune illusion sur le fait que je serai identifié. Mais j’ai décidé d’assumer. J’ai choisi entre mon métier et ma conscience. »

Dans son « rapport » du 6 septembre 2013, transmis au procureur de la République (TGI de Paris), la commandante de police judiciaire Marie-Eve F. relevait bien : « Convoqué et entendu librement, Olivier Thérondel a reconnu les faits. Il a justifié ses actes par la crainte que Tracfin n’enterre ’’l’affaire Cahuzac’’, son ministre de tutelle. » Ainsi font, paraît-il, les lanceurs d’alerte, tels que Florence Hartmann vient d’en dresser le portrait multiple, un « profil » où le visage d’Olivier Thérondel apparaît à propos.

Antoine Peillon


[1] Cette procédure d’exception, en faveur de certaines « personnes politiquement exposées », a été mise en œuvre à Tracfin depuis 2011 par son actuel directeur (nommé à ce poste le 11 septembre 2008).

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