Le retour du loup (1992…)

Le retour naturel des loups dans les Alpes françaises a été révélé par le magazine mensuel Terre sauvage en avril 1993. Témoignages, documents, articles, photos et vidéos…

patrick Orméa
Patrick Orméa, premier observateur du retour du loup en France / © Antoine Peillon

Vives émotions, en retrouvant ces vidéos et diaporamas réalisés fin octobre 2012, afin de marquer le vingtième anniversaire du retour du loup en France. En Mercantour, dans le vallon de Mollières et au col de Salèse, plus précisément…

Gérard Millischer
Gérard Millischer, pisteur des premiers loups du Mercantour, en vallon de Mollières / © Antoine Peillon
20 ans après
20 ans après, dans le vallon et le hameau de Mollières,
avec Gérard Millischer et Patrick Orméa, les bons amis… / © Antoine Peillon


Autres vidéos et diaporamas sur les loups du Mercantour.

Le communiqué à l’AFP (14 avril 1993) + les articles (intégraux) d’Antoine Peillon publiés dans Terre sauvage n° 73 le 21 avril 1993 + le rapport d’Antoine Peillon à la direction du PN du Mercantour sur les premières observations de loups (dont indices…) en montagne (4 mars 1993).

Le retour naturel des loups dans les Alpes françaises est officiellement révélé en couverture du n° de mai du magazine TERRE SAUVAGE (145.000 exemplaires diffusés selon l’OJD), à paraître dès le 21 avril.

   Un garde-moniteur du parc national du Mercantour est la première personne à avoir observé directement et pendant cinq minutes deux loups parfaitement sauvages sur le territoire français, au cours d’un comptage de chamois et de mouflons qu’il effectuait avec ses collègues au cœur du parc national, un certain matin de novembre 1992. Observation confirmée, quelques heures plus tard seulement, par celle -encore bien plus longue et précise- d’un autre agent du parc, pratiquement sur les mêmes lieux.

   Leurs témoignages ont été recueillis, en exclusivité, par Geneviève Carbone et Antoine Peillon, reporters du magazine TERRE SAUVAGE, ainsi que la description du suivi (*) des deux animaux qui semblent s’être durablement installés près des sommets des Alpes-Maritimes. Dans son dossier-révélation de 20 pages illustrées par des photos inédites, TERRE SAUVAGE publie aussi les reportages de ses deux envoyés spéciaux en Mercantour qui ont eu la possibilité de relever sur le terrain, début mars 1993, de nombreux et impressionnants indices de présence des deux loups au cœur du parc national : empreintes, points d’urine, crottes et carcasses de mouflons…

   Enfin, les avis des meilleurs spécialistes français, italiens, israéliens et américains du loup sont abondamment cités et permettent, selon TERRE SAUVAGE, d’affirmer que cet animal mythique ne présente aucun danger pour l’homme, que sa prédation sur le bétail est contrôlable et que son retour dans les Alpes est le signe encourageant d’un véritable regain de la nature de France.

Terre sauvage n° 73, daté de mai 1993. Révélation du retour du loup en France.

Documents et témoignages essentiels à propos de la révélation du retour du loup en France :

1 / Véronique Campion-Vincent, « Les réactions au retour du loup en France. Une tentative d’analyse prenant ’’les rumeurs’’ au sérieux », dans Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-3/2002 : Le fait du loup. De la peur à la passion : le renversement d’une image, pp. 11-52 (en ligne : https://www.persee.fr/docAsPDF/mar_0758-4431_2002_num_30_1_1759.pdf) : « (Gilbert Simon, alors Directeur de la nature et des paysages – DNP – au ministère de l’Environnement) : Tout a commencé en novembre 1992, lorsque deux agents du Parc du Mercantour m’ont téléphoné pour me signaler l’observation de deux loups. Cette observation a permis d’expliquer une observation précédente de nombreux cadavres de mouflons (que les agents pensaient avoir, peut-être, été tués par des chiens errants). (…) Il y a eu alors au ministère de l’Environnement une réunion restreinte où la question de la communication à faire a été posée. La décision a été prise de ne rien annoncer avant que trois conditions ne soient remplies : 1. Être sûr qu’il s’agissait bien de loups 2. Être sûr du caractère spontané de leur retour 3. Avoir mis au point la réponse à apporter aux dégâts que le loup ne manquerait pas de causer. Il s’agissait pour nous de faire face, moins au loup qu’aux réactions face au loup.

L’hiver 1992 a apporté la confirmation : c’étaient bien des loups, et ils étaient plus de deux. La colonisation naturelle de ce vallon des Mollières était tout à fait vraisemblable, ce que nous a confirmé en particulier le grand spécialiste des loups Luigi Boitani

Finalement, c’est la revue écologiste Terre sauvage qui, en mai 1993, annonce le retour du loup en France et non pas le ministère ni le PNM :

Nous pensions faire une action de communication au moment de la montée des troupeaux en alpage, vers la mi-juin, mais Antoine Peillon, bien introduit au ministère et également pigiste à Terre Sauvage nous a devancés ; il nous a un peu mis devant le fait accompli en nous disant : « c’est un scoop qu’il faut que j’exploite, car sinon quelqu’un le fera à ma place. » Alors, nous avons collaboré avec lui. » (p. 13).

2 / RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUETE SUR LES CONDITIONS DE LA PRÉSENCE DU LOUP EN FRANCE ET L’EXERCICE DU PASTORALISME DANS LES ZONES DE MONTAGNE (2 mai 2003) / P. S. : mes remarques générales sur ce rapport : « (…) Ce document (mon rapport du 13 mars 1993 à la direction du parc national du Mercantour) permets de couper court à toutes les rumeurs qui continuent de courir sur une « réintroduction » des loups dans les Alpes-Maritimes, rumeur dont on retrouve l’écho jusque dans un certain rapport parlementaire qui est une honte pour la République. »

En ligne :

Tome 1 : « (…) Deux loups sont donc aperçus pour la première fois dans la zone centrale du parc du Mercantour au début du mois de novembre 1992. La réapparition du loup sur notre territoire n’est rendue publique que six mois plus tard par voie de presse via un article paru dans la revue « Terre Sauvage » en avril 1993.

Ce laps de temps a officiellement été utilisé pour s’assurer qu’il s’agissait bien de loups et non de chiens divagants.

Il s’agissait de mettre à profit la période hivernale pour recueillir le maximum d’indices et d’informations, à une époque où l’on ne disposait pas encore de l’outil génétique. Ainsi, un grand nombre d’agents s’est trouvé mobilisé pour tenter, sur le territoire le plus vaste possible, de localiser les secteurs occupés par les loups. Dès le début du mois de décembre, un protocole de suivi systématique fut donc mis en œuvre en collaboration avec des partenaires du groupe loup italien venus reconnaître les secteurs a priori visités et dont les caractéristiques (altitude, couvert, ressource alimentaire) leur sont apparus favorables à l’installation des canidés. » (p. 34)

Tome 2 : « (…) M. le Président :  Non, en France, la première information est publiée par « Terre sauvage », en avril 1993.

Mme Geneviève CARBONE : Oui, tout à fait, toutefois, si vous le permettez, à la fin de l’année 1992, différents journaux ont fait paraître une série d’articles sur le loup et son retour dans différents pays européens : Norvège, Suède, etc. Donc, quand la rédaction de « Terre sauvage » a eu une information – mais je n’en sais pas plus et je pense que je n’en saurai jamais plus parce que je n’étais pas rédactrice, à l’époque – selon laquelle, au cours d’un  comptage  sur  les  ongulés  dans  le  parc  national  du  Mercantour,  en  novembre  1992,  comme  il  s’en  fait  quasiment  tous  les  ans,  il  y  aurait  une  observation  parallèle  sur  des  canidés  dont  on  ne  connaissait  pas  scientifiquement  l’espèce,  « Terre  Sauvage »  a  immédiatement  souhaité  « couvrir  l’information » (p. 262)

Vingt ans après

© Mathieu Krammer : “Trois loups ensemble, dans la neige épaisse de fin d’hiver (9 mars 2018). On y voit le couple alpha accompagné d’un troisième individu.”
(Mercantour)
© Mathieu Krammer : “Jeune loup en début d’été (28 juin 2018), dont le pelage est en mue.”
(Mercantour)

Geneviève Carbone, à l’école du loup

  • Antoine Peillon
  • La Croix, le 11 juin 2012

Cette spécialiste du loup fut la première à suivre scientifiquement son retour en France, au début des années 1990, dans les Alpes-Maritimes. Aujourd’hui, elle vient de fonder la première école Montessori du Var.

Elle n’avait encore jamais vu la montagne. Ni tant de neige. De la vraie montagne, qui culmine à plus de 3000 mètres d’altitude ; et de la vraie neige, dans laquelle elle s’enfonce jusqu’à la taille. Sous l’azur du ciel du parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes), Geneviève Carbone, qui termine alors une thèse d’éthologie (science du comportement) sur le loup, reste muette d’émotion. Pourtant, elle connaît bien les loups, déjà ; elle les étudie depuis plusieurs années, passant des heures dans des enclos où ils mènent leur vie mystérieuse en meutes très hiérarchisées, se ménageant une place discrète, notant tous leurs faits et gestes… Mais, en cette matinée radieuse du 5 mars 1993, ce sont les traces de deux loups libres qu’elle suit au cœur du vallon de Mollières, un des plus secrets de la haute Vésubie. Les traces sont fraîches et dévoilent très précisément le comportement du premier couple de loups sauvages revenus en France, l’espèce étant considérée comme disparue de l’Hexagone depuis 1937.

Ici, la carcasse d’un sanglier montre la puissance des prédateurs. Là, les marques d’une course vertigineuse sur le flanc d’un ubac couvert de neige profonde permettent de relever des bonds de dix mètres de long ! Un peu plus loin, les deux grands animaux se sont assis côte à côte, à la lisière d’un bois qui domine tout le vallon. Pour repérer de nouvelles proies ? Pour se reposer, avant de nouveaux jeux dans la neige ? Ou pour contempler, comme Geneviève Carbone le fait à son tour, l’exceptionnelle beauté des sommets de l’Argentera ? La magie du moment poussait certainement ceux qui l’ont vécu à prêter aux loups des sentiments humains, trop humains.

Mais, en Geneviève Carbone, la science reprend vite ses droits. Formée à la zoologie et à l’éthologie au Museum national d’histoire naturelle, mais aussi à l’anthropologie et à l’ethnologie à la Sorbonne, elle est nommée par le ministère de l’environnement, dès juillet 1993, pour suivre au plus près l’installation de la première meute de loups en Mercantour, mais aussi pour réaliser les constats de prédation sur les brebis et mettre en œuvre les indemnisations versées aux bergers. Elle vérifie alors, pendant plus de cinq ans de courses incessantes entre vallée des Merveilles et haute Tinée, que le conflit ancestral entre l’homme et le loup peut se résoudre à force de soutien intelligent de l’activité pastorale en montagne.

Dans le même temps, l’entrée de ses deux enfants à l’école l’entraîne dans la recherche des meilleures méthodes pédagogiques pour les aider à apprendre avec plaisir. « Ayant toujours travaillé en unissant sciences humaines et sciences naturelles, j’avais besoin d’une vision globale du développement des enfants. J’ai trouvé que la meilleure approche était celle que Maria Montessori avait élaborée au début du XXe siècle et qui n’a cessé de se diffuser avec succès depuis », se souvient-elle.

Observant patiemment les enfants, comme elle l’avait fait pendant tant d’années des loups, Geneviève Carbone suit la formation d’éducateur spécialisé et fonde, en 2008, sa première école. Aujourd’hui, celle-ci s’est installée à Sainte-Maxime (Var). Près de quarante enfants de 3 à 12 ans y ont été accueillis par six éducateurs, cette année. Ils seront plus d’une cinquantaine l’an prochain et un projet de collège Montessori verra alors le jour. Le nom de ce nouvel ensemble scolaire est… « La Loupiote ». La naturaliste du Mercantour confie : « Bien sûr, c’est un clin d’œil au loup, mais c’est aussi cette petite lampe que la vie allume et qui ne s’éteindra pas. »

Le 4 novembre 1992, deux premiers loups sont vus en Mercantour

Patrick Orméa, octobre 2012, PN du Mercantour / © Ishta

« Il est 7 h 30 du matin. Mélèzes ocre, neige en altitude, beau temps. J’observe des hardes de chamois et de mouflons et, à un moment donné, sur la crête, il y avait un chien assis. Je me suis dit : “Hou, malheur, qu’est-ce que c’est que ça…” », raconte Patrick Orméa, premier garde-moniteur au Parc national du Mercantour à voir un loup. Le « chien assis » était un loup, « le premier loup », très vite rejoint par un autre. Premier couple, donc ; première meute, quand des louveteaux naissent, dès 1993, dans le vallon de Mollières… Aujourd’hui, on compte plus de deux cents loups dans la totalité des montagnes françaises. Les attaques de troupeaux, environ 300 l’an dernier, provoquent souvent la colère des éleveurs.

Patrick Orméa, premier observateur du retour du loup en France

  • Antoine Peillon
  • La Croix, le 2 novembre 2012

Ce garde-moniteur du parc national du Mercantour, qui fut le premier à constater le retour du loup en France il y a vingt ans, observe que la présence de ce prédateur n’a pas nui aux autres espèces sauvages.

Le thermomètre monte tout juste au-dessus du zéro, malgré le soleil qui enflamme déjà les sommets du Mercantour tout autour de la vacherie du Collet, sous le col de Salèse, dans le haut du vallon de Mollières. Patrick Orméa avance à grandes enjambées, les jumelles bien serrées dans sa main droite. En cette aube de fin octobre, la montagne offre une explosion de couleurs : les bleus – de l’ardoise à l’azur – qui s’étagent du lit du torrent au zénith du ciel ; les verts et les bruns des alpages d’automne ; les ocres flamboyants des mélèzes… Ses yeux scrutent intensément les cimes et ses pas le mènent, au mètre carré près, sur cette « place » d’observation qu’il occupait il y a vingt ans, le matin du mercredi 4 novembre 1992. Regard accroché sur la crête de Colombrons (2 600 mètres d’altitude environ), le garde-moniteur du parc national du Mercantour évoque ce grand moment de sa vie : la vision d’un couple de loups se promenant au soleil levant, testant la vigilance d’une harde de mouflons, s’asseyant pour contempler le vallon de Mollières ouvert devant eux.

Patrick Orméa, à la vacherie du Collet (PN du Mercantour), le 24 octobre 2012 / © Ishta

« J’étais posté ici, pour réaliser un comptage de chamois et de mouflons. J’inspectais la lisière de la forêt, juste sous les pointes de Giegn et de Colombrons. Le temps était magnifique, mais il y avait déjà de la neige. » Patrick Orméa évoque l’apparition, comme si elle se déroulait à nouveau devant lui : « Il était 7 h 30 du matin. Je regardais les chamois et les mouflons aux jumelles. Soudain, sur la crête, j’ai vu un chien assis à côté de petits mélèzes. Juste au même moment, une harde de mouflons s’est éparpillée et un deuxième canidé est arrivé. J’ai sorti la longue-vue avec un grossissement de 25 fois et j’ai commencé à détailler ces deux visiteurs. J’ai vu le deuxième de profil, la queue bien pendante, très gris, haut sur pattes, svelte, la tête sous le niveau des épaules… Ces détails m’ont fait penser que c’étaient des loups. »

La vacherie du Collet, d’où Patrick Orméa réalisa sa première observation de loups, le 4 novembre 1992 / © Ishta

Vingt ans après, le garde-moniteur rit d’avoir vécu un tel instant, même s’il n’a pas pu, sur le coup, partager son observation – et son émotion –, devoir de réserve oblige. Il est aussi heureux de pouvoir tirer un bilan positif, « malgré quelques complications », du retour du loup en France et dans le Mercantour. Officiellement disparue dans les années 1930, l’espèce Canis lupus est désormais présente dans toutes les Alpes, le Massif central et les Pyrénées-Orientales, à raison d’environ 200 individus répartis en une vingtaine de meutes.

Patrick Orméa, au vallon de Mollières (PN du Mercantour), vingt ans après y avoir observé les premiers loups revenus en France / © Ishta

« C’est une réussite ! s’exclame Patrick Orméa, car l’État, que nous représentons, n’a jamais failli dans sa double mission de protection de la nature et de soutien à l’élevage en montagne. » Les chiffres lui donnent d’ailleurs raison. Les chamois étaient 6 000 en 1992, dans les limites du parc national ; ils sont près de 10 000 aujourd’hui. Les cerfs étaient rares ; on en compte près de 2 500 maintenant. Satisfaction essentielle : « Il y a autant d’éleveurs et de moutons en montagne qu’il y a vingt ans », constate l’agent du Mercantour.

La crête de Collombrons, où sont apparus les premiers loups observés en France, le 4 novembre 1992 / © Ishta

Quant aux loups, depuis le premier couple observé sur la crête du Colombrons, à l’aube du 4 novembre 1992, ils ont aussi prospéré. Aux dernières nouvelles, une nouvelle meute vient de s’installer, cette année, en haute vallée du Var, portant leur nombre à une quarantaine d’animaux répartis sur tout le massif (environ 2 150 km2). Enveloppant le vallon de Mollières d’un vaste geste de sa main ouverte vers le ciel, Patrick Orméa ose une question qui lui tient à cœur : « En 2012, n’est-il pas temps de faire la paix avec la nature ? »

Le 4 mars 1993, il raconte enfin son observation

Il n’était pas évident de faire connaître le retour du loup en France, du fait de l’opposition attendue de très nombreux acteurs. La première synthèse officielle de l’observation de Patrick Orméa ne fut réalisée que quatre mois plus tard, lors d’une discrète réunion organisée par la direction du parc national du Mercantour. Étaient présents, entre autres : Pierre Pfeffer, président du conseil scientifique, trois gardes-moniteurs et deux journalistes du magazine Terre sauvage (Antoine Peillon et Geneviève Carbone) qui publia l’information en mai 1993. « Le soir même, je suis allé dormir chez Auguste (un autre garde-moniteur),à Saint-Martin-Vésubie, raconte Patrick Orméa. Il m’a dit : “Moi, j’ai entendu un animal qui feulait à la Madone de Fenestre.” Il pensait à un lynx. Tout d’un coup, il y avait du lynx, du loup… Je n’ai pas dormi de la nuit. »

En Val d’Entraunes, les brebis sont mieux gardées

  • Antoine Peillon
  • La Croix, le 4 novembre 2012

À Entraunes, des bergers font estiver leurs moutons sur le territoire de loups. La coopération avec le parc du Mercantour doit leur permettre de prévenir les dommages subis par leurs troupeaux.

L’alpage de Sanguinières, dans le Haut-Var (PN du Mercantour), octobre 2012 / © Ishta

Jean-Paul Mandine est fils d’éleveur de moutons et petit-fils de berger. Il est né en janvier 1957 à Entraunes (Alpes-Maritimes), dans le hameau d’Estenc précisément, dernier groupe de chalets avant le col de la Cayolle, les sources du Var, les impressionnantes Aiguilles de Pelens et les sommets de Roche-Grande qui culminent jusqu’à près de 3 000 m d’altitude.

Jean-Paul Mandine, sur l’alpage de Sanguinières (PN du Mercantour), en octobre 2012 / © Ishta

Cet enfant du pays est aujourd’hui garde-moniteur du parc national du Mercantour. Et dans l’équipe des agents du secteur Haut-Var, animée par Mathilde Panneton, il est celui qui se consacre le plus intensivement au soutien des bergers.

Cet après-midi d’un jour lumineux d’automne, Jean-Paul Mandine fait sa tournée sur l’alpage de Sanguinière, situé dans une forêt domaniale de mélèzes et d’érables aux couleurs de feu, à 2 050 m d’altitude. C’est là qu’a estivé, de la fin juin à la fin septembre, un troupeau de brebis monté de la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône).

Des mesures agro-environnementales

Le garde-moniteur explique avec enthousiasme comment il met en œuvre, avec le berger de l’alpage, des mesures agro-environnementales (MAE) qui font l’objet d’un plan de gestion établi pour cinq ans : « L’objectif de cette sorte de contrat est de concilier un pastoralisme durable, rentable, et la biodiversité, c’est-à-dire la protection de la flore et de la faune sauvages. »

En échange d’aides européennes gérées par le parc national, le groupement pastoral du Val d’Entraunes (deux bergers et trois éleveurs bovins, pour environ 2 200 ovins et 80 vaches laitières) a décidé, en 2006, de s’engager dans une gestion collective – et écologique – des alpages de Sanguinière et du col des Champs (2 116 ha au total).

Jean-Paul Mandine observe une harde de chamois, depuis l’alpage de Sanguinières / © Ishta

Depuis, Jean-Paul Mandine a constaté une amélioration encourageante de la qualité des milieux fragiles et parfois très abîmés par le surpâturage ou par le piétinement des troupeaux. L’enjeu était d’importance, le haut vallon du Var étant une des perles naturelles du Mercantour offrant une diversité d’« habitats » exceptionnelle : ruisseaux, mares, éboulis rocheux, pelouses en gradins, landes à genévriers nains, bois d’épicéas…

Les clairières où se reproduit le tétras-lyre ne sont pâturées qu’en août

« Les objectifs que nous nous sommes fixés avec les éleveurs, depuis le début des années 2000, ont été bien respectés », constate l’agent du parc national. Les crêtes qui étaient érodées et surpâturées ont été soustraites aux parcours des troupeaux, les clairières où se reproduit le tétras-lyre ne sont pâturées qu’en août, les pelouses riches en nard produisent des agneaux plus charnus.

Sous les sommets de la Roche-Grande, montagne à brebis ou montagne à loups ? / © Ishta

Depuis le printemps dernier, la haute vallée du Var doit aussi vivre avec sa première meute de loups, forte sans doute de cinq individus. En quelques mois, une cinquantaine de constats de dommages sur les troupeaux ont été effectués, alors qu’ils étaient épisodiques lors des années précédentes. Un troupeau a même subi plus d’une vingtaine d’attaques, tandis que ceux de Sanguinière n’en ont pas connu cette année.

Il faut dire que le secteur est riche en proies sauvages : sangliers, cerfs en quantité, chamois, bouquetins… Certes, une nuit de l’été 2011, trois brebis ont disparu. Leur berger – Sylvain – a reconnu qu’il n’avait pas parqué ses bêtes pour la nuit. Jean-Paul Mandine s’entend d’ailleurs très bien avec « ce jeune qui est très sensibilisé à la protection de l’environnement ».

Une nouvelle génération de berger

Le garde-moniteur aime discuter avec la nouvelle génération de bergers. « Ils ont compris que la rotation des bêtes sur les pâturages désignés par le plan de gestion pastoral permet d’engraisser bien plus rapidement les agneaux », affirme-t-il.

La forêt de mélèzes, à plus de 2 050 m d’altitude / © Ishta

À la descente de Sanguinière, Jean-Paul Mandine croise Laure, une bergère qui terminera son estive le lendemain. La jeune femme semble épuisée, et une ombre de tristesse voile ses yeux clairs. En trois semaines, elle a été victime de six attaques du loup. « Je l’ai vu deux fois », raconte-t-elle : « Il est super-rapide. Il passe sous l’alpage, en fin de journée, dans le brouillard. Il vient de me prendre une brebis pleine et ça énerve ! »

Le garde l’encourage comme il peut. Il confie son admiration pour ces femmes et ces hommes qui aiment vraiment leurs moutons.

« Mes filles »

Il raconte comment l’un d’entre eux, Christian Toche, parle de ses brebis en disant « mes filles ». Celui-ci est un « local ». Il vit à Barrels, un hameau de Guillaumes, au cœur du parc national.

Sous les sommets de la Roche-Grande et les Aiguilles de Pelens / © Ishta

Jean-Paul Mandine cite volontiers son exemple : « Cet hiver et ce printemps, il y avait une forte présence du loup autour de chez lui, mais ce sont les faons et les biches qui en ont fait les frais. Il garde ses moutons en journée et les parque chaque nuit. Tous les soirs, il allume quatre ou cinq lampes à pétrole autour de l’enclos. En vingt ans de présence du loup dans le Mercantour, Christian n’a jamais eu un seul dégât. »

Peu de dommages sur les troupeaux en Vésubie

Autre explication, avance-t-il : Christian Toche « ne compte que 850 têtes environ, comme cela se pratique d’ailleurs en Italie, alors que la moyenne des autres avoisine les 2 000 brebis, un nombre qui empêche même le meilleur des bergers de protéger efficacement toutes ses bêtes ».

Sous les sommets de la Roche-Grande et les Aiguilles de Pelens / © Ishta

En Vésubie, le garde-moniteur Patrick Orméa, qui suit cinq alpages en MAE, constate que certains bergers ne connaissent pratiquement aucun dommage sur leurs troupeaux, surtout quand ils sont d’une taille raisonnable : « Ces éleveurs savent qu’ils ont tout à gagner de travailler dans un environnement construit avec nous selon un plan de pâturage. Mes relations avec eux sont amicales. Il arrive même que certains d’entre eux me confient : “Je ne le dis qu’à toi, mais j’ai vu le loup. Qu’est-ce que c’est beau cet animal !” »

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Les procédures d’indemnisation

L’État indemnise systématiquement les dégâts des grands prédateurs. Après chaque attaque, un constat est établi. Font l’objet d’indemnisation toutes les victimes de prédation où la responsabilité du loup n’est pas exclue. Les indemnisations « loup » couvrent les pertes directes et prennent en charge la valeur de remplacement des animaux.

Mais les attaques de loup peuvent provoquer aussi un stress important du troupeau, susceptible de générer des avortements, un arrêt de la lactation, une moins bonne prise de poids des animaux, voire la dispersion du troupeau (risques de dérochement, par exemple). L’indemnisation inclut donc un forfait de compensation des pertes indirectes et la prise en charge des animaux disparus.

En 2011, le montant des indemnisations s’est élevé au total à 1 548 052 € au total, dont 495 227 € pour les seules Alpes-Maritimes. Au 31 décembre 2011, ce sont ainsi 4 920 brebis « victimes » (1 415 attaques) qui ont fait l’objet d’indemnisation en France (14 départements concernés), dont 1 398 dans les seules Alpes-Maritimes.

Dans le Mercantour, sur les pas des premiers loups

  • Antoine Peillon (au parc national du Mercantour),
  • La Croix, le 6 novembre 2012

Le suivi scientifique du loup, dans le parc du Mercantour, a permis de presque tout connaître de la vie de cet animal, mais ce programme de recherche connaît une curieuse suspension…

« On le suit à la trace… » L’expression est rarement si juste que s’agissant du loup, depuis qu’il a pointé son museau sur un sommet du Mercantour, un beau matin de novembre 1992. À peine la nouvelle de son retour en France avait-elle été rendue publique, en avril 1993, par le magazine Terre sauvage, que le ministère de l’environnement chargeait Geneviève Carbone d’une mission d’observation de la première meute installée autour du vallon de Mollières.

La jeune universitaire, spécialiste de l’espèce, fit rapidement une cartographie des allées et venues très réguliers de ces grands animaux. Mieux, à force de patience, elle découvrit un jour la tanière où étaient sans doute nés les premiers louveteaux de France. Depuis, le protocole de suivi du loup, de ses déplacements, de ses mœurs, de sa reproduction et, bien entendu, de son régime alimentaire, s’est progressivement perfectionné.

Aujourd’hui, la « stratégie de récolte et d’analyse des indices de présence du loup » fait l’objet d’une double page très pratique, rédigée par l’ingénieur Christophe Duchamp, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Dans son bureau de la Maison du parc national, à Saint-Martin-Vésubie, Gérard Millischer, « protocole Duchamp » en main, explique comment il participe depuis dix-huit ans à ce suivi scientifique.

Isolement du reste du monde

Ce naturaliste de terrain a vécu une aventure peu commune. Dès janvier 1994, il s’est installé chaque hiver, pendant cinq ans, dans deux pièces d’une maison délabrée du hameau de Mollières, un écart d’altitude à moitié ruiné, complètement isolé du restant du monde pendant au moins les cinq à six mois – de décembre à avril – où les pistes forestières qui y conduisent sont recouvertes de neige.

Restant seul parfois pendant quatre semaines d’affilée, ravitaillé épisodiquement par des collègues qui venaient en skis de randonnée ou en raquettes, Gérard Millischer est devenu rapidement un ermite naturaliste, entièrement tourné vers l’observation quotidienne des premiers loups de France, de nuit comme de jour, grâce à des jumelles de vision nocturne à infrarouges.

Écoutant l’avis éclairé de son collègue et ami Patrick Orméa, qui lui conseilla de sortir le moins possible du hameau, « l’espion des loups » – ainsi fut-il rapidement désigné par les rares randonneurs qui le croisaient – récolta, au fil de ses semaines de solitude, des dizaines d’observations, chacune faisait l’objet d’un « rapport », mais aussi les premières photos de loups sauvages en France, et même des vidéos nocturnes saisissantes, où l’on assiste à de nombreuses tentatives de prédation sur les hardes de cerfs, de chamois, de mouflons et même à une course-poursuite presque comique avec un lièvre…

La première capture d’un loup

Gérard Millischer se souvient particulièrement de sa première observation : « C’était en mars 1994. Deux loups sont restés à 80 m de moi, sans me voir. » Ensuite, il y eut cette première photo d’un grand loup solitaire, prise à la va-vite en avril 1995, et cette autre, de mars 1996, où l’on aperçoit cinq loups qui se suivent dans la neige, au soleil.

Le premier loup photographié par Gérard Millischer, en avril 1995 / © Gérard Millischer et Ishta (photo d’écran)

Bien entendu, ces souvenirs relèvent plus de l’émotion que de la science, mais l’agent du parc national aime aussi montrer les comptes-rendus et d’autres images du suivi technique du loup. Sur l’écran de son ordinateur, il est alors possible d’assister à la première capture d’un loup – une louve en l’occurrence – par piégeage inoffensif au sol, le 13 juillet 2009, à 1 h 15 du matin, en haute Tinée.

Gérard Millischer en fut l’opérateur, avec Gérard Caratti, un autre technicien du parc national. Après l’anesthésie réalisée grâce à une canne seringue, les deux hommes ont estimé qu’ils avaient affaire à une femelle de 6 ans environ, lui ont posé rapidement un collier radio émetteur (VHF) et ont fini leur action par quelques prélèvements sanguins. Une fois toutes ces manipulations délicates terminées, l’animal s’est réveillé et a repris le chemin de la montagne où un autre loup l’attendait manifestement, hurlant à proximité du lieu de la capture durant toute l’opération.

Pas de données sur la prédation du loup

Dès lors, trois autres louves ayant été équipées de colliers, un important programme de recherche dit « programme prédateur-proies » (PPP) a permis de récolter des informations considérables sur les rythmes biologiques des meutes (reproduction, notamment), leur utilisation de l’espace (déplacements, tanières) et, surtout, sur l’impact de leur prédation sur les ongulés sauvages, mouflons et chamois principalement.

Selon Gérard Millischer, les premiers résultats de ce suivi systématique piloté par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) semblent démontrer que les populations de proies ne sont pas diminuées par les attaques de la cinquantaine de loups aujourd’hui présents sur tout le massif du Mercantour. Mais, à sa grande déception, le PPP a été officiellement arrêté l’été dernier.

À Nice, Alain Brandeis, directeur du parc national, espère que cette recherche exceptionnelle reprendra prochainement, ou du moins que ses premiers résultats seront rapidement publiés. « C’est dommage, regrette-t-il, car nous n’avons toujours pas assez de données sur la prédation pour éclairer un débat bien légitime. » Peut-être son appel sera-t-il entendu par les ministres de l’écologie et de l’agriculture, sa tutelle, lorsque le parc national, doté bientôt d’une nouvelle charte (en cours d’examen par le Conseil d’État), bénéficiera d’une adhésion plus ferme des communes qu’il couvre aujourd’hui.

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Mille cinq cents « suiveurs » de loups en France

Le Réseau grands carnivores loup-lynx a été mis en place en 2000 et est actuellement piloté par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et par les Directions départementales des territoires (DDT). Il regroupe environ 1 500 correspondants formés par l’ONCFS.

Ceux-ci effectuent les suivis de la population par relevés d’indices après les premières chutes de neige, qui sont analysés pour établir les zones de présence permanentes (ZPP) ou temporaires de l’espèce. Cette méthode permet de dénombrer les loups, notamment par leur identification génétique grâce aux traces biologiques (fèces, urine, sang, poils). Un autre type de suivi est réalisé en été : le hurlement provoqué. En imitant le hurlement d’un loup, les agents suscitent une réponse en réaction de défense du territoire chez une meute installée.

Aujourd’hui (novembre 2012), la France comprend 29 ZPP réparties sur une dizaine de départements. Le nombre de loups est estimé à 250 environ (bilan 2011-2012).

MAJ 2020 : La “situation” des loups en France fait toujours l’objet du suivi de l’administration (Office français de la biodiversité – OFB).

Et depuis…

Le loup, à la conquête de toute la France

Depuis 1992, l’espèce a gagné de nombreux territoires sur plus de la moitié du pays. Estimée à plus de 350 individus, elle devra franchir la barre des 500 pour être viable.

Antoine Peillon

La Croix, le 9 janvier 2018

André (1), membre actif, depuis les années 1970, de l’Association des naturalistes de la vallée du Loing et du massif de Fontainebleau (ANVL), fondée en 1913, est aujourd’hui certain qu’il aura « le bonheur de voir le retour du loup en forêt de Fontainebleau ».

Il se souvient pourtant de sa lecture du chef-d’œuvre de Jean Loiseau, Le Massif de Fontainebleau (2) et de la conclusion fataliste de sa notice sur le loup : « Le dernier loup de Fontainebleau aurait été tué en 1870. Le 13 novembre 1907, on aurait relevé des traces de loup près de Milly (Milly-la-Forêt, aujourd’hui) ; depuis on n’entendit plus parler d’eux. »

Forêts d’Île-de-France

Depuis le début de l’année 2017, on entend cependant à nouveau « parler d’eux ». Car les loups seraient déjà présents en Île-de-France, selon les communications très médiatisées (Le Parisien, BFMTV…) de l’Observatoire du loup. Deux seraient « en train de s’installer » en forêt de Rambouillet, et un troisième dans le massif de Fontainebleau. « Les loups vont-ils bientôt entrer dans Paris ? », s’interrogeait, en conséquence, la chaîne de radio-télévision BFMTV, dès le 17 janvier 2017…

Éric Hansen, le délégué interrégional Centre-Val de Loire et Île-de-France de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), rectifiait aussitôt : « On a des éléments précis qui nous permettent de dire qu’à ce jour, il n’y a pas de traces de loup en Île-de-France. Néanmoins, le loup est en effet en train de coloniser l’ensemble de la France. Il devrait occuper les forêts d’Île-de-France, qui sont très giboyeuses et dans lesquelles il pourrait tout à fait trouver de quoi se nourrir. »

Des loups qui arrivent en plaine

De même, Murielle Guinot-Ghestem, directrice de l’Unité prédateurs-animaux déprédateurs (PAD) de l’ONCFS, confirme à La Croix que « la population française de loups s’étend désormais de façon plus ou moins continue à l’est d’une diagonale joignant la Somme aux Pyrénées-Orientales, y compris dans des zones de plaine : la Somme, la Dordogne, l’Aude, la Haute-Marne, la plaine des Vosges, la Nièvre… » Elle ajoute, qu’« à terme, l’espèce pourrait être présente partout, le loup n’étant pas inféodé à un milieu naturel particulier ».

Depuis la première observation de deux loups, dans le parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes), le 4 novembre 1992, l’espèce n’a cessé de croître et de se multiplier, partant chaque année à la conquête de nouveaux territoires. Dans cette histoire d’un quart de siècle, l’année 2017 marque certainement le passage d’un nouveau seuil, des loups ou des indices de leur présence étant désormais régulièrement observés en régions de plaine, alors qu’ils ne l’étaient qu’en montagne, jusqu’alors.

Réseau loup

Aujourd’hui, l’ONCFS est le seul organisme réellement habilité et compétent pour suivre en continu l’expansion du loup en France. Et c’est dès 1993 que ce suivi est organisé, tout d’abord, par le parc national du Mercantour sur son territoire, puis par l’Office, dès que l’espèce a colonisé de nouvelles zones hors du parc.

En 1997, un « réseau loup » est donc créé par l’ONCFS. Il est constitué désormais de quelque 3 500 « correspondants de terrain spécialement formés, dont 70 % de professionnels et 30 % de particuliers ». Ce dispositif est chargé de « relever de manière techniquement homogène les indices de présence du loup sur le terrain (proies sauvages ou domestiques, empreintes, analyses génétiques, observations visuelles, excréments) ».

57 zones de présence du loup

Chaque semestre, ce « réseau loup » publie un bulletin d’information sur son suivi de l’espèce. La lecture de ses première et dernière éditions (mars 1998 et septembre 2017) permet de mesurer la progression impressionnante de l’espèce.

Il y a vingt ans, l’ONCFS relevait : « Vingt loups répartis en quatre meutes sont présents dans le Mercantour (Alpes-Maritimes)… » Aujourd’hui, la situation n’est plus comparable : « Le nombre de zones de présence permanente (ZPP) augmente, passant de 49 ZPP détectées en sortie d’hiver 2015-2016 à 57 ZPP en sortie d’hiver 2016-2017, confirmant la progression spatiale de l’espèce sur le territoire national. »

Le loup, à la conquête de toute la France

Par ailleurs, l’étendue de ces données spatiales actuelles « correspondrait à un effectif total estimé en sortie d’hiver 2016-2017 d’environ 360 individus ». Nicolas Jean, coordinateur national de la recherche et de la gestion du loup et du lynx à l’ONCFS, estime aujourd’hui que le réseau d’observateurs du « réseau loup » a vocation à être déployé dans toute la France.

Car, en conséquence de la croissance démographique et de l’expansion géographique de l’espèce, « l’emprise du réseau loup » de l’Office couvre d’ores et déjà les trois quarts du territoire national métropolitain, soit « 34 départements bénéficiant d’un déploiement intégral, un département pour lequel le réseau est en cours d’extension et 23 départements du front de colonisation sur lesquels est activée la veille des services de l’ONCFS ».

Un abattage maximal de 10 % des effectifs

C’est donc sur la base de l’expertise scientifique de l’Office que l’État a élaboré son nouveau « plan national loup et activités d’élevage » pour les années 2018 à 2023, dont l’essentiel a été présenté le 12 décembre dernier. Une des principales dispositions de ce nouveau « plan loup » prend en compte l’expertise scientifique sur le devenir du loup, publiée en mars 2017 par le Muséum national d’histoire naturelle et l’ONCFS.

Cette « évaluation prospective à l’horizon 2025-2030 » recommande de ne pas abattre plus de 10 % des effectifs lupins afin que ceux-ci restent « au moins stables ». De même, le nouveau « plan loup » se donne aussi comme objectif d’atteindre une population de « 500 spécimens » pour qu’elle soit considérée comme « viable ».

Chronologie

4 novembre 1992. Deux gardes moniteurs du parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes) observent deux premiers loups.

Avril 1993. Le mensuel Terre sauvage révèle le retour du loup en France.

En 2000, l’ONCFS recense une trentaine de loups dans les Alpes françaises. Depuis, leur présence est devenue permanente dans le Grand Est, le Massif central, les Pyrénées et en Provence.

Aujourd’hui, d’après les données mises à jour, l’Office compte 57 « zones de présence permanente » (ZPP) de l’espèce, dont 42 sont désormais « constituées en meutes ».

(1) Son prénom a été modifié, à sa demande, le sujet étant très polémique.

(2) Il est l’auteur de Le Massif de Fontainebleau, Éd. Vigot, 5e édition parue en 2005.

Des hybrides du chien et du loup dans le viseur

Depuis l’été 2017, la polémique incessante entre pro- et anti-loups a pris une tournure « scientifique ». Des éleveurs accusent les prédateurs de leurs brebis d’être majoritairement des chiens-loups.

Les analyses biologiques commanditées par l’ONCFS démentent catégoriquement l’importance de cette hybridation.

Antoine Peillon

La Croix, le 9 janvier 2018

Les services experts de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) travaillent, depuis vingt-cinq ans, dans un climat de polémique virulente et incessante entre « fanas » extravagants du loup, associations compétentes (SNPN, Ferus, CAP loup), syndicats d’éleveurs ovins exaspérés et fédérations de chasseurs en mal d’un nouveau « gibier » stimulant… Dernière réplique de cette « guerre psychologique du loup », l’accusation lancée par José Bové, fin août 2017 (1), selon laquelle les loups qui mangent les brebis sur son fief du Larzac (Aveyron) seraient en fait hybridés avec des chiens. L’objectif du député européen EELV, suivi aussitôt par certains éleveurs, est de contrer la convention de Berne (texte européen signé en 1979 pour assurer la conservation de la flore et de la faune sauvages), qui protège les loups mais pas les hybrides.

Ainsi, un collectif informel d’éleveurs et d’élus a présenté, le 23 novembre dernier à la chambre d’agriculture de Grenoble, une « étude scientifique » selon laquelle une partie des attaques d’animaux attribuées à des loups serait en fait à mettre au compte d’hybrides du chien et du loup, ce qui autoriserait leur liquidation sans limites. Cette expertise a été réalisée par le laboratoire allemand Forgen, spécialisé dans les analyses médico-légales, à partir de prélèvements effectués sur des animaux tués ou des poils et excréments de loups. Le 14 décembre 2017, l’ONCFS se fendait d’un démenti vigoureux à la communication des commanditaires de l’étude allemande, dont « les résultats sont complètement divergents de ceux publiés récemment par l’ONCFS ». La conclusion de la note très technique de l’office sur les analyses du laboratoire Forgen était même cinglante : « Il subsiste de nombreuses approximations et incertitudes quant à l’approche mobilisée et aux résultats présentés, y compris sur les fondamentaux scientifiques et techniques de ce type d’analyses non invasives qui requièrent un cahier des charges précis. »

D’ailleurs, l’office avait lui-même produit une expertise génétique massive sur le sujet de l’hybridation éventuelle entre chiens et loups, dont les résultats, publiés le 13 septembre 2017, étaient déjà sans appel : « Sur la base d’analyses représentatives de l’ensemble du territoire national, le phénomène d’hybridation récente (de première génération) concerne 1,5 % des animaux ; 6 % sont concernés par de l’hybridation plus ancienne ; tous les autres, soit 92,5 % des 130 individus analysés, sont des loups non hybridés. Ces données de référence, dont le détail est disponible sur le site Internet de l’ONCFS, apporteront sans nul doute des éléments objectifs pour éclairer le débat sur la conservation et la gestion du loup en France. »

(1) Sud Ouest du 24 août 2017.

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